Sulayman est un jeune homme heureux. Il se contente de peu, vit en parfaite harmonie avec la faune et la flore de sa région. Il aime pétrir l’argile et faire naître de ses mains des objets et des formes.
Orphelin, il a été élevé par un vieil ermite que l’entourage peut considérer autant comme un sage que comme un fou.
Lorsque Suleyman rencontre Kadidja, la fille du caïd qui règne sur toute la région, entre eux c’est le coup de foudre.
Mais l’élu, assoiffé de pouvoir et riche de la valeur de sa fonction, accepte mal le mariage de sa fille avec un simple berger.
C’est alors que la seconde guerre mondiale éclate et le jeune, avec beaucoup d’autres citoyens marocains, est enrôlé de force dans l’armée française.
Suleyman se retrouve du jour au lendemain à hanter dans un uniforme et une arme à la main des terres inconnues et hostiles.
Plongé dans la cruauté de la guerre, il tente de chercher une forme d’humanité dans la destinée de ce contingent de soldats marocains embrigadés dans un conflit dans lequel ils ont du mal à se trouver concernés.
Le point de départ de «Les hommes d’argile» avait une dimension historique. Il avait pour objectif de remettre en lumière une page de l’histoire généralement méconnue en France mais aussi dans les pays concernés le Maghreb, l’Afrique, l’Asie, l’Asie du pacifique.
Lorsque Mourad Boucif a été amené, au cours de la préparation de son film, à rencontrer dans des foyers Sonacotra d’anciens vétérans en France, à Paris ou à Bordeaux, il a peu à peu modifié la ligne de son film.
Il lui avait paru évident que ces hommes, jeunes gens à l’époque, qui n’avaient rien demandé à personne, sont devenus des otages au fil des deals entre les sultans, les chefs d’état de pays tant du Nord que du Sud.
Et ce n’était bien sûr pas les fils de familles nanties qui partaient à la guerre, mais les pauvres, les plus vulnérables. Ils furent au total près d’un million pour les colonies françaises.
Le film se concentre essentiellement sur la présence de marocains dans cette guerre 1939-1945 car au début des hostilités, le sultan du Maroc a été un des premiers à répondre à la demande des autorités occidentales. Des appels ont été lancés dans les mosquées, sur les places de villages et c’est dans les régions de montagnes, dans le centre et le sud du Maroc que les chefs de villages ont recruté le plus massivement. Les recrues étaient des hommes de la terre surtout reconnus pour leur loyauté, leur honnêteté.
Sur les 950 000 engagés dans les combats, près de 450 000 étaient des marocains. Le manque de reconnaissance des pays occidentaux et notamment de la France a sans doute laissé des traces profondes et certaines de ces blessures expliquent sans doute en partie les violences d’aujourd’hui.
Si le film de Mourad Boucif a un fort impact documentaire il est aussi, et peut-être surtout, une forme de réflexion philosophique sur l’être et sa condition et c’est ainsi que le récit a été axé sur le personnage de Suleyman et sur son parcours.
La reconstitution des campagnes, les scènes de combat sont saisissantes au point qu’à un moment donné du récit, les personnages (celui de Suleyman, mais aussi du lieutenant Laurent ou du commandant Blanchard) prennent le pas sur le sujet central, l’embrigadement des marocains.
Le film de Mourad Boucif a, avant toutes choses, le mérite de rouvrir une page de l’histoire restée trop méconnue.
Francis Dubois
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