Bin, chef d’une mafia locale règne sur son groupe d’acolytes et veille sur la jeune Qiao, sa compagne et admiratrice. Le mécanisme de la bande fonctionne sans accrocs jusqu’au jour où Bin est attaqué et débordé par une bande rivale. Le voyant en mauvaise posture, Qiao prend sa défense en tirant plusieurs coups de feu. Mais n’ayant pas d’autorisation de port d’arme et ne voulant pas dénoncer le propriétaire du revolver dont elle a fait usage, elle est condamnée à une peine de cinq ans de prison.
A sa sortie, elle part à la recherche de Bin et tente de renouer avec lui. Mais Bin qui a perdu toute autorité et tout prestige, refuse de renouer.
Dix ans plus tard, à Datong, Qiao a réussi sa vie en restant fidèle aux valeurs de la pègre. C’est alors que Bin, usé par les épreuves et les humiliations, revient vers Qiao, la seule personne qu’il ait aimée et qui lui soit restée vraiment fidèle.
La pègre de Jianghu joue un rôle important dans la culture chinoise quand de nombreux groupes appartenant à la pègre se sont formés et imposés dans certaines régions ou industries. Ce sont des réseaux qui transcendaient les relations familiales et les clans locaux et qui apportaient un soutien et un mode de vie aux personnes démunies.
Le symbole le plus connu de la culture du Jianghu est Lord Guan qui représente la loyauté et la rectitude. Cette justice parallèle est représentée dans la scène d’ouverture du films « Les éternels » au cours de laquelle Bin fait avouer la vérité à celui qui refuse de reconnaître une dette devant la statue de Lord Guan, leur totem spirituel.
Les personnages des « éternels » ne font pas partie des gangs de la pègre au sens ancien du terme.
Ils sont apparus après la mise en place de la politique de « réforme et d’ouverture » de la fin des années 1970 et ont hérité de la violence des années de la Révolution culturelle.
Ils se sont inspirés, pour établir leurs règles, des films de gangsters hongkongais des années 80.
Ils ont tissé de nouvelles formes de relation comme moyen de survivre et de s’aider les uns les autres.
Si le film de Jia Zhang-Ke s’annonce d’entrée comme un film sur la mafia, dès le moment où Bin se fait corriger par une bande adverse, et qu’abandonné par les siens, il perd son prestige de chef et de justicier, que Qiao purge sa peine de prison, le récit devient une sorte de fresque romanesque qui s’étend sur plusieurs années, une sorte de valse hésitation des sentiments des deux protagonistes.
C’est dès lors un film qui prend le temps, qui traverse une suite d’événements mineurs et la magie de Jia Zhang-Ke c’est de donner son poids, son importance à des moments qui paraissent insignifiants mais qui, mis bout à bout, produisent une puissance narrative presque mystérieuse.
La force du récit est dans la magie de la camera, sa façon de scruter les visages, les mouvements, les moindres gestes. Elle est dans la présence des deux comédiens, dans la façon d’exprimer ou de taire leurs sentiments.
Une œuvre à la fois puissante et toute en demi teinte qui puise autant dans l’intimité du récit et des personnages que dans la violence et le spectaculaire du thriller.
Francis Dubois
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