Un adolescent Eliú est incarcéré dans un centre expérimental dans la forêt tropicale colombienne après un meurtre commis en compagnie de son ami El Mono. Chaque jour au prix d’un labeur éprouvant les adolescents débroussaillent et nettoient la forêt pour le compte d’un riche propriétaire, que l’on n’apercevra qu’une fois, et suivent une thérapie de groupe. Un jour El Mono est à son tour transféré dans ce centre. Sa présence tout comme la visite de son jeune frère, lui aussi happé par le monde de la drogue et de la violence, vont ramener Eliú vers ce passé auquel il paraissait décidé à échapper.

Grand Prix de la semaine de la Critique à Cannes en 2022 et Prix de la SACD, c’est le premier long métrage du réalisateur colombien Andrés Ramirez Pulido, déjà auteur de deux courts-métrages multi-primés. S’il a passé du temps avec sa compagne dans une petite ville où il a animé des ateliers cinéma avec des enfants et des adolescents confinés pour divers crimes ou/et dépendance à la drogue, le réalisateur n’a pas pour autant souhaité montrer directement le contexte politique et social de la Colombie. Ce qu’il a noté c’est que tous ces jeunes avaient une relation conflictuelle à leur père, tel Eliú qui hait son père au point de vouloir le tuer, et beaucoup avaient tatoué sur leur corps le nom de leur mère. Ce qu’il souhaite c’est extraire des personnages et des paysages une vérité qui bouscule le spectateur. La violence n’est pas montrée directement mais elle est omniprésente : dans le travail imposé aux jeunes, dans les rapports avec le surveillant armé Godoy et avec la famille de la victime. C’est une rencontre avec l’invisible qui permet à Eliú de sortir du cercle mortifère de la violence. Immergé dans la pénombre de la forêt dense, le spectateur sent l’humidité lui coller à la peau comme le sentiment de culpabilité au personnage et se trouve plongé dans une atmosphère poisseuse et oppressante.

C’est avec son équipe dans les rues de Bogotá que Andrés Ramirez Pulido a réalisé son casting, cherchant des garçons avec des personnalité fortes. Le seul acteur professionnel est Miguel Viera. Il interprète le thérapeute Álvaro, avec toute sa complexité, investi d’une mission, amener ces garçons vers la rédemption, mais hanté aussi par les pulsions qui l’habitent. Pour le personnage du surveillant violent Godoy, le réalisateur a choisi un surveillant d’un centre pour jeunes délinquants, (heureusement très loin du personnage qu’il joue ici!), Diego Rincón. Les jeunes adolescents choisis impressionnent. Jhojan Estiven Jiménez campe un Eliú timide, taiseux, le visage fermé, Maicol Andrés Jiménez incarne El Mono, trapu, caractériel à l’air sournois et malfaisant, Carlos Steven Blanco enfin est le frère d’Eliú que sa jeunesse et sa bêtise enferment déjà dans le cercle de la violence et qui n’imagine pas de voie de sortie.

En dépit de sa noirceur, le film porte à la fin comme un espoir. Le réalisateur voit le cinéma comme un espoir pour son pays marqué par les années 80 et 90 où la violence extrême attisée par les défaillances de l’État a laissé d’énormes cicatrices.

Micheline Rousselet

L’Eden, de Andrés Ramirez Pulido (France-Colombie 2022, 1h26), Sortie nationale le 22 mars


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