Dans un village du Shandong, une vieille paysanne fait une chute dans la modeste habitation où elle réside et où elle a toujours vécu. Ses enfants utilisent l’argument de cet accident, même s’il n’a laissé aucune séquelle, pour déclarer que l’aïeule est désormais inapte à vivre seule et pour l’inscrire malgré elle dans un hospice.

En attendant qu’une place se libère dans l’établissement, le vieille dame va faire de courts séjours chez chacun de ses enfants puisqu’aucun d’entre eux, pour des raisons variant de l’un à l’autre, ne veut la prendre en charge.

Elle va ainsi, de famille en famille, tandis que son état de santé se détériore et que les rapports familiaux se dégradent.

Mais un beau jour, elle est prise de fous-rires convulsifs…

Cinéma : le rire de madame Lin
Cinéma : le rire de madame Lin

La grand mère du réalisateur s’est suicidée par pendaison à quatre-vingt seize ans, aussitôt après que ses enfants lui ont annoncé qu’ils la plaçaient dans un hospice.

Il a pris conscience, à la lumière de l’événement, du manque d’empathie de sa famille, des amis et des voisins qui se sont empressés pour considérer le suicide de l’ancêtre comme une chose normale, une fin heureuse, voire un soulagement. Il a su, au fil de recherches, que la Chine a le troisième taux de suicide au monde chez les personnes âgées.

L’idée de réaliser un film sur le sujet est née du suicide de sa grand mère mais également d’un constat de la dégradation des liens entre les générations et encore par l’état de vulnérabilité de plus en plus marqué des paysans chinois exposés au chômage, à la paupérisation, aux crises économiques.

Depuis, avec l’ouverture de la Chine au marché et le passage du socialisme au capitalisme, les valeurs traditionnelles sont entrées en conflit avec les valeurs du libéralisme et les traits de la société de consommation.

La grand mère du film représente la Chine ancienne et ses traditions. Elle a vécu les mutations, l’érosion des traditions au profit d’un individualisme exacerbé.

Le sort de ces femmes dépositaires des traditions et témoins directs de l’histoire de la Chine contemporaine est maintenant de mourir dans la misère et dans le solitude.

Chacune des branches de la famille de madame Lin représente une facette de l’envers du boom économique : paysans appauvris, petits commerçants qui voient fondre les économies d’une vie, enfants entrant dans la délinquance ou partant tenter leur chance vers les grandes villes qui les fascinent.

Et la manière peu reconnaissante que chacun a à l’égard de la grand mère n’est que l’expression du désarroi, de la rancœur et de la colère que suscite en eux ce monde qu’ils ne comprennent plus ou qui n’est plus pour eux.

Des acteurs professionnels n’auraient pu jouer le rôle de ces paysans aussi bien que les paysans eux-mêmes et aucun décorateur n’aurait pu rendre l’environnement où ils vivent que la réalité de ces murs écaillés, de ces froides basses-cours bourbeuses et de ces arrière-boutiques.

Les fissures des murs, tout comme les rides profondes sur le visage de la vieille dame, sont ici authentiques…

Le plus souvent filmé en plans-séquences, «Le rire de madame Lin» est le constat poignant d’une déshumanisation de nos sociétés perverties et de leurs dérives de plus en plus incontrôlables.

Francis Dubois


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