On pourrait résumer « Le bouton de nacre » en disant que c’est une histoire sur l’eau, le Cosmos et l’homme. Mais en réalité, ce film multiple, à la fois esthétique, lyrique et réaliste, palpable et insaisissable, ne peut tenir derrière une telle ligne réductrice.
Le bouton de nacre est cet infime détail vestimentaire à quatre trous découvert dans les fonds marins, soudé à un tronçon de rail métallique qui a servi à lester un corps humain jeté depuis un hélicoptère dans l’Océan pacifique, près des côtes chiliennes pendant la dictature sous Pinochet. .
Dans son film, Patricio Guzman multiplie, varie et contraste les séquences. Il filme la Patagonie occidentale du Chili dont l’étendue des côtes est estimée à environ 7 400 km.
Son intérêt pour la Patagonie l’a incité à filmer une partie de l’histoire de ses habitants.
S’appuyant sur les études de certains océanographes selon lesquelles « l’activité de le pensée ressemble à l’eau qui peut s’adapter à tout », il témoigne sur l’existence d’une communauté qui a réussi à vivre pendant 10 000 ans dans des conditions climatiques extrêmes. Ils étaient 8000 individus au 18ème siècle. Ils ne sont plus aujourd’hui qu’une vingtaine.
Gabriela Paterito est la dernière descendante de l’ethnie Kawesqar. Elle se souvient de la vie de son peuple avec lucidité et précision.
Cristina Calderon est, elle, la dernière représentante de l’ethnie Yagàn. Elle est aujourd’hui reconnue comme un « trésor humain vivant » par le Conseil national de la culture et des arts du Chili.
Ou encore, Gabriel Salazar, professeur de philosophie et de droit à l’Université de Santiago, un des intellectuels les plus véhéments du pays aujourd’hui, attaché à étudier le « sujet populaire chilien ».
Il peut filmer dans la foulée, le poète Raul Zurita qu’il considère comme un des plus grands d’aujourd’hui ou un ancien mécanicien d’hélicoptère Puma qui témoigne sur la disparition dans le désert, les cratères des volcans, ou dans les fonds sous-marins, de milliers d’hommes sous le régime de Pinochet.
Un retour sur la période de dictature qu’a connue le Chili sous Pinochet est indissociable de l’œuvre du cinéaste. C’est une période avec laquelle il n’a jamais pu prendre de distance. Pour lui, le temps n’a pas passé. La chute d’Allende reste dans sa mémoire et de la même façon qu’il donne la parole aux indigènes de Patagonie, aux premiers navigateurs anglais, il rassemble les témoignages de prisonniers politiques rescapés de la dictature.
« Le bouton de nacre » situé à l’extrême sud du Chili et le film précédent de Patricio Guzman, « Nostalgie de la lumière » qui se situait à l’opposé, constituent un diptyque. Un autre film sur la cordillère des Andes, véritable colonne vertébrale du Chili et de l’Amérique du Sud est en projet.
On ressent chez Patricio Guzman un appétit de filmer, un amour des personnages, des paysages et de la nature et quand son documentaire fait un pas de côté du côté de la fiction, c’est pour reconstituer sur un mannequin le soin avec lequel les tortionnaires lestaient les corps des opposants pour que l’Océan les engloutisse et qu’on ne les retrouve jamais.
Qui, d’entre eux aurait pu imaginer que leur aveugle cruauté serait dénoncée un jour par l’existence, dans les fonds marins, incrustés dans un tronçon de rail métallique, d’un minuscule bouton de nacre miraculeusement épargné par l’érosion.
Francis Dubois
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