«Land» qui se déroule au Nouveau Mexique, dans la réserve indienne de Prairie Wolf et ses alentours, est l’histoire de trois frères appartenant à la grande famille des Denetclaw. Raymond l’aîné, ancien alcoolique repenti, travaille dans une exploitation de gros bétail et fait vivre tout la famille. Wesley le second se tient le plus souvent à proximité du bar tenu par Sally et passe son temps à boire des bières. Floyd, le benjamin qui s’est engagé dans l’armée, se bat sur le front afghan.
Un jour, survient une terrible nouvelle, l’annonce par un officier de l’armée américaine de la mort de Floyd. Mais la mort de Floyd a-t-elle eu lieu dans les circonstances qui permettraient à la famille de touche la forte somme à laquelle ils peuvent prétendre en dédommagement ?
Lorsque Wesley est tabassé par un groupe de jeunes et qu’il se retrouve dans un piteux état à l’hôpital, Raymond décide de le venger. Mais une simple correction infligée aux coupables sera-t-elle suffisante pour laver l’honneur de la famille Denetclaw ?
Babak Jalali, un réalisateur iranien qui a, à priori peu à voir avec les réserves d’indiens, s’est livré en amont d’un film sur le sujet, à un long travail de préparation. Il a visité pas moins de trente réserves réparties dans un quinzaine d’états. Et c’est celle de Pine Ridge qui a inspiré son film.
«Land» rend hommage à la culture et à l’histoire des indiens d’Amérique rarement représentées de la sorte au cinéma.
Un reportage photo réalisé dans le Dakota du sud annonçait des statistiques qui ont interpellé le cinéaste. Sur les 40 000 personnes qui vivaient dans cette réserve, 90% d’entre elles étaient au chômage, 88 % étaient alcooliques ; l’espérance de vie des hommes était de 47 ans, et celle des femmes de 49 ans.
Comment imaginer au beau milieu d’un pays riche comme les États-Unis qu’un tel degré de misère, de marginalisation sociale, puisse exister.
Le film de Babak Jalali restitue ce qui est communément appelé «le temps indien», une rythmique très particulière reliée à la nature. Mais ce ralentissement des déplacements, des mouvements qui va jusqu’à la non expression des émotions est plus certainement une conséquence de l’inaction, de cette existence végétative et des ses séquelles.
Une monotonie de l’activité qui se retrouve au montage pour restituer, avec le peu d’action dans la vie de ces indiens, l’atmosphère et le rythme du film.
A une économie de gestes réduits à l’utilité, s’ajoutent l’impassibilité des visages et l’absence visible de toute émotion quels que soient les circonstances et les événements. Le seul personnage qu’on voit dans l’action est Raymond, celui qui a une activité professionnelle.
Le matriarcat est représenté ici par le personnage de la mère à la fois impénétrable et à laquelle rien de ce qui se passe n’échappe jamais.
Au manque d’activités s’ajoute la consommation d’alcool à la fois destructrice et ruineuse.
La boutique qui en vend est tenue par une blanche et située à la frontière de la réserve. Le commerce et sa situation en disent long sur les difficultés qu’ont les blancs et les indiens à communiquer, leur relation portant uniquement sur le profit que les uns tirent de l’addiction des autres.
Par certains côtés, et l’impassibilité des indiens n’y est pas étrangère, « Land» prend parfois des airs de documentaire.
Cependant, quelques séquences percutantes au cours duquel se libèrent sans retenue l’intériorisation des sentiments ramènent le film au réalisme.
La remise du corps du soldat dans la tradition américaine, à une famille respectueuse des traditions ancestrales est un moment d’une force remarquable ; ou encore celle où Raymond venge son frère avec l’acharnement et la violence de la haine, renvoie totalement à la fiction.
Un film très fort, bien utile pour se remémorer que les indiens dans leurs réserves n’appartiennent pas à la légende ni au folklore de western mais qu’ils existent bel et bien dans une réalité qui n’est pas à mettre à la gloire de la «démocratie américaine».
Francis Dubois
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