
Le cinéma social peut-il être intimiste ? L’intimité cinématographique peut-elle être l’œuvre d’un collectif ? La sensibilité à la dépendance des personnes âgées serait-elle plus évidente chez la jeunesse ? La jeunesse des grandes villes qui en sont l’avenir peut-elle être ignorée encore longtemps dans ses droits à l’emploi et au logement, aux conditions sociales du bonheur ? L’histoire de Bruno et de sa grand-mère Natividad du film réalisé par le Col·lectiu Vigília répond à toutes ces questions ; dans l’ordre : oui, oui, peut-être et non.
Bruno n’a sans doute jamais connu d’autre famille que sa vieille mamie Nati avec laquelle il cohabite dans la banlieue de Barcelone et dont il s’occupe avec attention, autorité et efficacité. Une belle relation intergénérationnelle. Si le jeune homme se cherche encore personnellement et socialement, il a la maturité de sa responsabilité familiale. Sur son vélo rouge, il pédale avec énergie pour livrer des pizzas. Tel que le Col·lectiu Vigília le filme, Bruno ressemble à un chevalier errant des temps actuels. Certes, il ne châtie pas les méchants mais il sait les ignorer, il ne protège pas les opprimés car il est lui-même sans protection et il ne soutient pas l’honneur d’une dame mais celui de sa grand-mère. Bruno est en lutte contre l’adversité de l’adverse cité.
« L’âge imminent » est-il celui de la grand-mère qui reçoit l’offre d’une place en Ehpad ou celui de Bruno qui se trouve à la croisée des chemins ? Choisir pour elle ? Choisir lui ? Natividad est encore très lucide et elle assume que la décision soit de son seul ressort. Mais Bruno a aussi d’autres choix à faire, en amour, dans le boulot… En attendant de trancher de son épée invisible de chevalier-livreur à vélo, il peut encore se laisser aller à la camaraderie avec ses potes, filles et garçons, à la tendresse familiale, et s’endormir comme un enfant.
Col·lectiu Vigília est une expérience de création collective qu’on peut saluer ! Laura Corominas Espelt, Laura Serra Solé, Clara Serrano Llorens, Gerard Simó Gimeno, Ariadna Ulldemolins Abad et Pau Vall Capdet se sont rencontrés pendant leurs études en Communication Audiovisuelle à l’Université Pompeu Fabra de Barcelone. L’équipe du film a en grande partie, moins de 25 ans et la bande de potes de Bruno dans les 18-20 ans. Ces données objectives et sociologiques sont porteuses de sens. Il existe dans les métropoles occidentales que d’aucuns considèrent comme les centres d’une « décadence civilisationnelle », une jeunesse dynamique et créative, formée par la vie ou par l’université, engagée à sa manière, sensible à l’articulation du politique et de l’intime, animée d’un esprit progressiste et désireuse de s’exprimer mais aussi d’être entendue, vue et considérée comme une actrice légitime de l’avenir. Le « Col·lectiu Vigília » indique la voie dans la langue catalane et dans celle universelle de la traduction : du collectif pour « col », de la compétence professionnelle ou universitaire pour « lectiu » et de la veille, voire de la vigilance pour « Vigilia ».
« L’auberge espagnole » ne peut plus être une sympathique comédie entre étudiants d’Erasmus, elle doit laisser la place à une expérience à grande échelle de l’accession de cette jeunesse à la décision sociale et politique. Notre « vieille Europe » a en son sein largement de quoi rajeunir et aller de l’avant. Moment imminent ?
Jean-Pierre Haddad
L’âge imminent, (L’edat iminent) 2024, 1h14mn. Sortie en France, le 12 mars 2025
Prix national Malaga Work in Progress 2023, sélectionné au CEU Soon – Mia Market 2023.
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