Thomas a vingt deux ans. Pour s’extraire de sa dépendance aux drogues dures, il rejoint une communauté isolée dans la montagne où d’anciens drogués tirés d’affaire s’entretiennent dans la guérison par la prière et le travail communautaire. Thomas, quand il sera passé par des moments de révolte contre les règles en vigueur à l’intérieur de la communauté, va découvrir la camaraderie, les plaisirs de l’échange, l’amour et la foi.
L’idée de réaliser un film sur le sujet est venue à Cédric Kahn lors de sa rencontre avec la jeune écrivain Aude Walker qui s’était intéressée à la question et avait beaucoup enquêté sur des expériences religieuses tentées avec des toxicomanes. Mais n’étant ni croyant, ni chrétien, ni ex-toxicomane, le réalisateur avait à trouver sa porte d’entrée vers le sujet.
Avec ses deux scénaristes, après avoir de multiples façons abordé la question, recueilli les témoignages d’anciens «pensionnaires» de ces institutions tirés d’affaire et d’autres en pleine expérience, ils ont fini par opter pour la trajectoire d’un seul personnage dont on ne saurait rien de ses origines, de son passé et qui deviendrait, au fil du récit, le symbole de tous les autres, une sorte de figure emblématique. L’histoire commence avec son arrivée dans la communauté et finit avec son départ, l’avant et l’après devenant le hors-champ du récit.
Si les rapports entre les pensionnaires paraissent très forts, hissant à leur paroxysme les vertus de la fraternité, de la camaraderie, de la solidarité, voir parfois de la relation filiale, on peut cependant noter à l’intérieur des échanges généreux un certain angélisme qui pourrait faire pencher les bases même de cette vie communautaire vers un sens du devoir et pourrait ébranler parfois, en dépit des élans de générosité, le sens même du récit qui est la reconstruction du lien.
Car jusqu’où pourrait aller l’amitié qui est un des trois préceptes de la communauté avec le travail et la prière ?
Si on peut se livrer à la prière, se laisser porter par l’énonciation de psaumes dits en commun et si le travail va dans le sens de la communauté, qu’en est-il de cette amitié envisagée comme un passage obligé ? Mais l’amitié se dicte-t-elle, à moins que ce ne soit par devoir, ce qui la prive de tout élan spontané ?
Ce qui est gênant dans le film de Cédric Kahn, ce sont les «bons sentiments», c’est qu’en dépit de la volonté d’aider son prochain, on reste dans l’artificialité des sentiments et que cette nuance renvoie le sujet aux caractéristiques de la secte même si on ne détecte, dans le cas de « La prière », aucun enjeu économique.
La paroi est très fine entre ces élans vers son prochain et la démarche sectaire et si, dans le film, l’amour pour une fille empêche Thomas de s’engager dans l’exercice de la religion, de devenir prêtre, c’est qu’il a peut-être échappé à une manipulation souterraine, à l’embrigadement d’êtres d’autant plus malléables qu’il sont dans le désarroi et sans doute dans une solitude.
Car le danger de ce genre d’expérience, même quand elle est concluante et peut-être d’autant plus quand elle est concluante, c’est la difficulté au moment de se retrouver dans le monde du dehors. Que peut-il advenir après cette parenthèse de «protection» synonyme de danger et de tentation ?
Car si l’apaisement est advenu, la fragilité ne demeure-t-elle pas ?.
Avec son visage encore empreint des signes de l’enfance, Antony Bajon est un Thomas idéal.
Et au milieu d’acteurs inconnus (excepté Damien Chapelle) on a le plaisir de retrouver Hanna Schygulla, l’égérie de Fassbinder dans un petit rôle..
Francis Dubois
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