Alain Guyard est philosophe. Il a enseigné des années durant et avec passion, la philosophie devant des élèves de lycée. Mais après avoir entamé une thèse sur tous ceux qu’il appelle « les branquignols de la pensée », à la faveur d’une simple rencontre, il est devenu « philosophe forain ».
Et le voilà qui au volant de sa voiture, sillonne les routes du Gard, de l’Aveyron ou de l’Hérault pour rejoindre un village perché et ses résidents, sagement installés dans une grange ou dans une grotte, écoutent avec intérêt son propos imagé et savant avec en référence, Nietzche, Épicure, Lucrèce, Aristote ou Hegel.
L’idée de faire des interventions face à des personnes qui n’ont jamais été initiés à la philosophie et n’ont aucune autre chance d’y venir jamais a séduit cet homme à la personnalité en apparence fantasque, mais qu’on découvrira au fil du film comme un solide pédagogue, un érudit capable de rendre passionnant et accessible à tous le sujet le plus ardu.
Et Alain Guyard sait trouver le ton juste pour s’adresser à une assemblée de taulards, un groupe d’infirmières spécialisées dans les soins palliatifs, des puéricultrices ou aux fêtards d’une fête foraine.
Avec les infirmières, il évoquera Jankélévitch, il abordera les thèmes de la mort et de l’amour de la vie, avec d’autres ceux du bonheur ou de la joie, l’harmonie de la nature dans un village perché du Gard.
Loin du discours bien-pensant autour du « développement personnel » ( la philosophie n’est pas pour résoudre des problèmes mais pour interroger ), Alain Guyard dénonce « l’entre-soi » et la mode qui réserve la philosophie aux classes averties, censées disposer déjà d’un capital culturel.
Il se revendique avant tout comme « philosophe forain » au plus proche des citoyens et sa « philosophie foraine », buissonnière, itinérante qu’il distille non sans une certaine démagogie nécessaire, devient peu à peu un voyage, une aventure initiatique.
Le film rend compte d’une pensée en mouvement, de comment transmettre cette parole, capter cette énergie et la façon dont elle se diffuse dans un espace social diversifié rarement, voire jamais préparé à la recevoir.
L’objectif d’Alain Guyard est de « défétichiser » la philo et il n’est pas étonnant d’apprendre que la thèse qu’il a écrite portait sur « la contre-culture philosophique « .
Après avoir débuté dans un bistrot où la pensée faisait bon ménage avec le Pernod, l’aventure s’est poursuivie à Vauvert, en petite Camargue, où pendant six ans, une fois par mois le public de plus en plus nombreux a fait éclater les murs en se massant pour se prendre au jeu de la dialectique et de l’intelligence.
Cet enseignant du voyage, de plus en plus sollicité, ne cesse de se déplacer. La personnalité d’Alain Guyard et sa façon de transmettre la pensée ne feront pas que des admirateurs parmi les spectateurs du film. Son franc-parler, le passage par certaines facilités pour séduire et accrocher son auditoire, ses comportements provocateurs, flirtent souvent avec la démagogie mais on finit par découvrir, derrière les apparences séductrices, la vraie nature de l’homme et celui qui intervient en milieu carcéral n’est plus tout à fait celui qui multiplie les boutades face à des villageois, sur une place…
Un documentaire bien construit et passionnant. Une belle aventure humaine.
Francis Dubois
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