Gilles Perret a toujours connu les Bertrand, ses voisins en Haute-Savoie, trois frères restés célibataires, qui exploitaient une ferme laitière d’une centaine de vache. Ils avaient été très brièvement interrogés par Marcel Trillat pour un documentaire diffusé en 1972 sur FR3. Devenu documentariste à son tour, Gilles Perret a décidé en 1997 de leur consacrer un film. Il les a filmés sur un an au moment où, l’âge venant, ils étaient en train de transmettre leur ferme à leur neveu Patrick et sa femme Hélène. C’est à ce film, Trois frères pour une vie, que vingt-cinq ans plus tard, en 2023, Gilles Perret a décidé de donner une suite, au moment où, après le décès de Patrick, Hélène va à son tour prendre sa retraite et où Marc, le fils d’Hélène, et Alex qui s’occupent de l’exploitation pensent installer des robots de traite.

Gilles Perret, qui a travaillé dans les usines de la vallée de l’Arve, s’est le plus souvent attaché au monde ouvrier dans ses documentaires, dont la fibre sociale et humaniste a suscité des débats pleins d’émotion dans les lieux où ils étaient projetés. On peut citer, entre autres, en 2012 De mémoires d’ouvriers, en 2013 Les jours heureux, en 2016 La sociale et en 2021 Debout les femmes .

Cette fois il s’attache au monde paysan, celui de ses voisins. Utilisant des images des films précédents, celui de Marcel Trillat de 1972 et le sien de 1997, Gilles Perret écrit des parcours de vie où la transmission et le travail occupent une place centrale. Il laisse parler Hélène, Marc et Alex, et André le seul survivant des trois frères de 1997. Avec son visage buriné, le corps plié en deux par le travail André cajole ses poules en véritable star de cinéma et parle avec un peu d’ironie du discours écologiste. Il peut se le permettre lui qui est un modèle de sobriété énergétique et consumériste !Comme le réalisateur leur laisse le temps, leur discours est construit. Le film s’ouvre sur les machines à traire. On est dans l’agriculture d’aujourd’hui et ces agriculteurs parlent de la mécanisation qui a réduit la pénibilité du travail et leur a permis d’aménager le temps pour pouvoir s’occuper des enfants. Ils s’informent, lisent la presse professionnelle, ils sont dans une agriculture de marché mais pas dans une agriculture productiviste à outrance. Leur appartenance à la zone d’appellation contrôlée du Reblochon, si elle leur impose des contraintes proches du bio, leur permet de vendre leur lait à bon prix. En confiance tous passent des discussions sur la ferme et le travail aux remarques plus personnelles. Le réalisateur lui-même n’hésite pas à intervenir, on entend sa voix. Il sait toujours passer du témoignage personnel au global voire à l’universel. L’évolution des conditions économiques de l’agriculture, que l’on voit bien à l’écran, a aussi entraîné des modifications sociologiques que l’on entend tout aussi clairement. Si du côté des aînés il y avait une fatalité à reprendre l’exploitation familiale, pour leurs enfants Marc et Alex disent  « ils choisiront du moment qu’ils sont contents ». Chez tous on entend l’amour du travail bien fait et le respect de l’environnement.

On passe avec fluidité d’une époque à l’autre, on suit le vieillissement des corps et les transformations des conditions matérielles. Le réalisateur filme avec amour la splendeur des paysages sur lesquels passent les saisons et chaque voix compte et nous emporte. Ils sont magnifiques ces agriculteurs et leurs préoccupations sont les nôtres.

Micheline Rousselet

La ferme des Bertrand, deGilles Perret, (documentaire, France 2023, 1h29). Sortie nationale le 31 janvier. Des débats sont organisés avec la Mutualité Sociale Agricole en Isère, Savoie et Haute-Savoie. Informations et dates sur alpesdunord.msa.fr

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