Bébé déjà, Dominick disparaissait mystérieusement de la vue de ses proches. Adulte, le pouvoir de se rendre invisible existe toujours mais il ne s’en sert pas beaucoup. Pire, il a fait de son pouvoir un secret vaguement honteux tel qu’il l’a toujours dissimulé même à sa fiancée Viveka. Mais voilà qu’arrive le jour où le pouvoir se détraque et se met à échapper à son contrôle en bouleversant sa vie, le cours de ses amitiés, de ses amours….
Dominick n’a pas choisi d’être un homme invisible et le film de Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard n’est pas une nouvelle version d’un sujet souvent abordé dans sa tonalité fantastique au cinéma. Ici le fantastique est ancré dans le quotidien et toute l’histoire de cet homme discret, presque effacé, a lieu aujourd’hui et dans un fonctionnement de vie ordinaire au point qu’il ne sait quoi faire de son pouvoir et que son indifférence à ce sujet pose la question de savoir si la possibilité de se rendre invisible peut être enivrant ou au contraire gênant.
Et si Dominick subit les effets de son pouvoir quand il en dispose, il en subira encore plus les effets quand il découvrira qu’il est en train de se détraquer.
Dans « l’angle mort » l’invisibilité habituellement considérée comme un pouvoir génial est traitée comme un handicap. Faut-il utiliser à tous prix un avantage dont on dispose, dont la nature nous a pourvus ? Le questionnement fait dire à Dominick « Si je mesure deux mètres cinquante, est-ce que je suis obligé de jouer au basket ?» ou « le don d’invisibilité, est-ce que je le possède ou est-ce lui qui me possède ? »
Même si « L’angle mort » ne formule frontalement aucun message politique, on est renvoyé de façon souterraine à l’idée que les exclus de la société sont souvent considérés comme les « invisibles » de notre époque. Et l’invisibilité dans le film devient une sorte de métaphore évolutive qui prête à se poser différentes questions parmi lesquelles une métaphore sociale. Tout le monde « voit bien » qui sont ces invisibles : ce sont ceux qui subissent leur invisibilité.
« L’angle mort » diffuse un climat urbain nocturne et froid, plutôt inquiétant et la façon de filmer la ville, les décors en général vont dans le sens de la description de notre époque, de plus en plus anxiogène. Les ambiances qui en découlent reflètent l’état psychique d’un Dominick aux prises avec la disparition de son pouvoir qu’il lui faut gérer de la même façon qu’il aurait eu à gérer sa vie si son invisibilité avait persisté.
Le film de Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard est une œuvre inclassable tant par le choix du sujet que par un traitement cinématographique qui désamorce tous les regards attendus et à priori le traitement du sujet central. Le don d’invisibilité du personnage n’est jamais une priorité au cours de la narration et il n’apparaît jamais dans une image ou une absence d’image, sauf peut-être dans la séquence du bébé qui disparaît.
Le film aura sans doute du mal à trouver un large public mais il est essentiel qu’il existe.
Il fait partie de ces pépites dont la réalisation est encore, mais pour combien de temps encore, possible.
Francis Dubois
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