Alors que la révolution égyptienne survient place Tahrir, les habitants des campagnes du sud du pays suivent le cours des événements sur leurs écrans de télévision. Du renversement de Moubarak à l’élection et à la chute de Morsi, le film suit ces bouleversements du point de vue de Farraj, un paysan de la vallée de Louxor, de ses proches et de quelques-uns de ses voisins.

culture/cinéma
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Les changements annoncés et les variations politiques sont à la fois sources d’espoir et de déception. Le changement annoncé se fait attendre.

Anna Roussillon, dont « Je suis le peuple » est le premier long métrage documentaire, a grandi au Caire. Après avoir étudié la philosophie, la linguistique, les langues, la littérature et civilisation arabe, passé l’agrégation d’arabe, elle se partage entre Paris, l’Egypte où elle fait de très fréquents séjours, et Lyon où elle enseigne.

En août 2009, elle rencontre Farraj au milieu d’un champ. Lui a sa pioche sur l’épaule, et elle sa caméra à la main. En 2011 après l’avoir revu à plusieurs occasions, elle lui annonce qu’elle veut réaliser un film avec lui. Les contours du projet sont encore flous mais le film doit montrer un village qui est pour ses habitants le centre du monde alors que d’un autre point de vue, tout le désigne comme une marge de la société.

Le 27 janvier 2011, alors qu’elle vient de passer un mois au village et qu’elle prévoit d’y revenir dans le courant de l’été suivant pour commencer le tournage, tout bascule dans la capitale égyptienne.

Le contact entre Anna Roussillon et Farraj, tous deux éloignés du point névralgique de la révolution, n’est plus possible que par Skype et chacun, la réalisatrice à Paris et Farraj dans la campagne de Louxor, en sont réduits à suivre les événements à la télévision.

En mars 2011, Anne Roussillon retourne en Egypte. Elle se rend place Tahrir encore occupée puis au village où, si rien n’avait concrètement bougé, tout le monde ne parle que de ça, chacun à sa façon, selon sa sensibilité politique et parfois selon son ignorance, mais toujours avec humour et passion.

Un choix se pose alors à la cinéaste : doit-elle rester au village où rien ne bouge ou se rendre au Caire au sein du grand ébranlement révolutionnaire.

Elle a opté pour le village et elle a bien fait car le film qui en a résulté répond avec humour, spontanéité et un réjouissant plaisir de vivre à la question : comment se transmet une onde de choc faite de tensions, d’affrontements, de revendications, d’espoir, de colère quand rien devant soi ne bouge. Quand apparaissent comme des événements lointains et parfois abstraits, le bruit des pierres jetées de l’autre côté des barricades, celui des tanks qui sillonnent les rues ou encore celui des balles meurtrières, quand personne ne se rassemble, ne proteste ni ne crie.

Comment vit-on une révolution « en creux » quand le seul changement qui s’opère est la disparition des touristes, la pénurie de courant électrique ou de bouteilles de gaz.

Le film devient une sorte de contre-champ nécessaire à la place Tahrir.

Il est un constat singulier qui montre les paysans les pieds dans la boue des canaux d’irrigation et la tête dans la télé de la révolution.
Anna Roussillon a filmé le travail des champs, la circulation quotidienne au village et cette mécanique domestique et laborieuse qu’est la vie d’une famille paysanne.
L’entrelacement de ces deux dimensions, quotidien et politique, immobilisme et tumulte, fait tout l’intérêt de ce film au premier plan, drôle, savoureux et en arrière-plan sérieux et grave où plus que jamais la télévision joue son rôle de fenêtre ouverte sur le monde.

On comprend que la réalisatrice ait voulu filmer Farraj. C’est un personnage d’une immense richesse, à la fois passionné, lucide, sage et d’une grande drôlerie, magnifique dans ses analyses politiques et majestueux dans l’expression de ses arguments.
Francis Dubois


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