Le film de Laetitia Carton est adressé à son ami Vincent qui était sourd et qui est décédé il y a une dizaine d’années. Celui-ci avait initié la réalisatrice à la langue des signes et lui avait, par là même, permis d’accéder au monde des sourds.

culture/cinéma
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A travers « J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd », elle lui donne aujourd’hui des nouvelles de son « pays », celui d’un monde mal connu et fascinant, celui du peuple auquel il appartenait, qui lutte toujours pour s’imposer tel quel et défendre son identité.

Tout au long de son film, elle s’appuie sur le fait que la surdité n’est pas un handicap mais une culture. Le monde des sourds est un « autre pays » auquel on accède par des passages secrets et il existe par rapport à cette « déficience », un déni très fort. L’histoire de Vincent est celle de beaucoup de sourds qui ont connu une éducation oraliste assortie du déni de leur surdité; qui en ont souffert et qui ont découvert sur le tard (trop tard ?) la langue des signes, la culture sourde.

Laetitia Carton refuse d’attribuer à « J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd » l’étiquette de film militant. Elle préfère dire « film politique ». Car les lois qui ont été votées, comme celle du 11 février 2005 qui reconnaît la LSF comme une langue à part entière ou celle datant de 2008 par laquelle la LSF devient une option pour le baccalauréat comme n’importe quelle langue et si en 2010 le CAPES de LSF a été officialisé, peu de choses ont changé réellement. Le chiffre le plus marquant est celui qui atteste que sur les 16 000 jeunes sourds en France, seuls une centaine d’entre eux bénéficient d’un enseignement des sons.

Le film de Laetitia Carton pose nombre de questions et, s’il défend sans réserve l’enseignement des signes, un choix annoncé comme le plus épanouissant pour l’individu, et s’il s’élève contre une forme d’oppression concernant un peuple qui parle « une langue minoritaire », il peut se montrer critique envers les parents qui ont opté concernant leur enfant né sourd, pour une des solutions médicales, implants et appareillages.

Si dans le film on voit des individus, enfants ou adultes, s’épanouir dans cette langue, le langage des signes, comme une option préférable, n’est-il pas également un enfermement dans un monde encore insuffisamment ouvert sur une société encore dans l’incapacité de leur répondre en conséquence ?

Car pour communiquer, les sourds qui ont été éduqués au langage des signes, n’ont-ils pas besoin d’avoir face à eux, des individus qui ont une connaissance de ce moyen d’échange et qui puissent établir un dialogue ?

« J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd » est un film généreux, minutieusement documenté, qui permet de pénétrer plus avant dans le monde de la surdité.
C’est un film ouvert, optimiste, convaincant qui montre des individus épanouis dans un monde pourtant toujours en attente d’une vraie reconnaissance.

Francis Dubois


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