Avec son troisième long métrage, Shahram Mokri nous livre un film étrange et ambitieux s’offrant à de multiples lectures
« Invasion »: un film politique :
l’action se situe dans un pays plongé dans les ténèbres. Des maladies sont apparues. Un mur a été dressé pour contenir l’immigration illégale vers un ailleurs ensoleillé. Cet ailleurs n’est jamais montré (si ce n’est sur une valise). Il n’existe que par les dires des personnages qui n’y sont jamais allés. Microcosme infesté de ce pays, un stade où une équipe de joueurs répètent les événements qui ont précédé l’assassinat de leur capitaine.
Les joueurs au look androgyne (vêtements futuristes et ongles peints) renvoient à une identité sexuelle en marge de l’hétérosexualité. Ceci est souligné par les remarques homophobes des enquêteurs, la référence appuyée à Freddie Mercury et par l’amour que voue Ali à Saman et à sa sœur et son double, Negar. S’ajoute que ce stade et ces vestiaires sont réservés aux hommes (des affiches collées au mur le précisent).
Que fait alors cette femme dans ce stade ? Les références à la situation iranienne en deviennent transparentes.
« Invasion» un film policier.
Dans un stade plongé dans le brouillard où les vestiaires sont éclairés par des lumières rouges ou jaunes, une équipe de joueurs reconstituent l’enchaînement des événements qui ont conduit au meurtre de leur capitaine. Dès le début du film, Ali, le principal suspect nous apprend, en voix off, que Saman n’est pas mort mais qu’il va endosser la responsabilité de cette mort pour éviter que soient mis en lumière des événements plus graves. Pourquoi ces bouteilles qui devraient contenir du sang emplissent-elles le sac de Negar ? Pourquoi Saman exige-t-il de ses joueurs cet impôt du sang ? Le brouillard qui enveloppe les joueurs rend difficile la perception des différents espaces dans lesquels ils circulent et les mêmes scènes vont se rejouer, les personnages s’intervertir, comme s’ils étaient interchangeables laissant chaque fois découvrir une autre facette de l’événement.
« Invasion » comme film fantastique :
Pourquoi tous ces hommes portent-ils le même tatouage sur le dos et pourquoi s’adonnent-ils à des séries de mouvements d’épaules comme si quelque chose les gênait et essayait de percer leurs omoplates. Et avec la présence du sang pris à l’autre pour survivre, apparaît le mythe du vampire dont Shahram Mokri développe l’ambiguïté sexuelle. Qui se cache sous le blouson à capuche, Saman ou Negar ? Ne sont-ils pas les deux faces d’une seule entité et qui Ali aime-t-il ?
«Invasion» comme jeu vidéo:
Le film peut aussi être vu comme une illustration d’un mécanisme connu des amateurs de jeu vidéo sous le nom de « Die and Retry ». Les personnages partent d’un point déterminé, jouent leur rôle et se perdent dans le labyrinthe des vestiaires avant de revenir à leur point de «sauvegarde» par une autre entrée, avant de recommencer jusqu’à la résolution du problème. Sharam Mokri indique comme source de son film un spectacle traditionnel iranien appelé «Ta’zieh» qui raconte le martyre de l’iman Hussein, petit fils du prophète. Véritable jeu de rôle qui voit les participants se distribuer les rôles, jouer la même scène en disant un texte qu’ils peuvent modifier. Dans ce jeu, les femmes et les enfants qui y participent appartiennent exclusivement au camp du martyr.
Sur le plan formel le film constitué d’un unique plan séquence avance avec une fluidité confondante et toutes ces lectures plutôt que de s’exclure se complètent les unes les autres.
Francis Dubois
A noter : « Fish and cat » le précédent film du réalisateur sortira en DVD et VOD début novembre.
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