Amman en Jordanie, de nos jours. Après la mort soudaine de son mari, Nawal, 30 ans, doit se battre pour sa part d’héritage, afin de sauver sa fille et sa maison dans une société où avoir un fils changerait la donne. Concrètement en cas de décès de son mari, une femme qui a déjà une position sociale de faiblesse est affaiblie encore, une fois veuve, par rapport à l’héritage. Si elle a une fille, elle est toujours faible car une fille est une « femme », donc une personne faible. En revanche si elle a un fils, tout change car un fils est un « homme » et un homme a un statut social « fort » ou « dominant », même encore enfant et même s’il est encore dans le ventre de sa mère y compris si on ne sait pas encore si c’est un garçon ou une fille ! En effet, si le mari meurt en laissant sa femme enceinte, le jugement sur sa succession est mis en attente jusqu’à la naissance qui renseignera sur le sexe de l’enfant. D’où le titre du film : « si Dieu veut un fils ». C’est le dernier espoir que peut se permettre Nawal qui vient de perdre son mari et qui avec sa fille, risque de perdre tout ce qui lui reste de moyens matériels de vie, à l’heure où elle perd aussi son emploi pour avoir fait preuve de solidarité féminine…
« Inchallah ! », c’est une façon de s’en remettre au hasard (une chance sur deux que ce soit un garçon) mais en le transformant en providence divine car dans ce référentiel culturel tout ce qui arrive, pour le croyant, vient de Dieu. Le mécréant ajouterait « la maladie aussi » mais on lui couperait vite la langue !
Dans la société jordanienne où vit Nawal qui en France par exemple, serait une femme plutôt émancipée, l’ordre patriarcal règne bien secondé par son complice idéologique, l’obscurantisme religieux. La jeune femme veuve vit dans deux univers clos que sont la maison de son défunt mari (payée également par sa dot puis par son travail) et celle luxueuse de sa patronne catholique et bourgeoise où elle travaille comme aide à la personne. Entre les deux, c’est l’espace de la ville d’Amman mais il semble lui aussi pris entre les murs infranchissables d’une culture oppressante, voire insultante pour les femmes. Acculée de tous côtés, peu aidée par un frère soumis aux hommes plus riches que lui et harcelée par son beau-frère qui ne veut rien perdre de l’héritage, Nawal est aux abois. Mais son caractère déterminé que d’aucuns prennent pour de l’entêtement forcera le sort.
L’histoire de Nawal n’est pas celle d’une révolte individuelle qui compterait sur un changement de contexte socioculturel ou de régime politique. Faut pas rêver ! Rien de tout cela ne se dessine à l’horizon des sociétés arabo-musulmanes. Mais le personnage qu’incarne fort justement Mouna Hawa sous la camera à la fois très réaliste et subtilement engagée d’Amjad Al Rasheed, est celui d’une héroïne ordinaire qui a la ténacité d’aller au bout, non pas de son destin mais de son désir d’autonomie. Celui-ci passe forcément par une résistance quotidienne des plus compliquées ! Un symbole de sa lutte pour se libérer du carcan des préjugés sexistes : Nawal refuse de revendre le véhicule acheté à crédit par son mari… Ira-t-telle jusqu’à apprendra à conduire ? Sa fille avec qui elle a une relation d’une grande complicité, sera-t-elle la génération de la libération des femmes jordaniennes ? Le cinéma est-il reflet ou signe avant-coureur ? Inchallah le féminisme en pays musulman !
Pour un premier long métrage, le film du jeune et courageux cinéaste Amjad Al Rasheed est une réussite prometteuse. Il a été en 2023, le premier film jordanien jamais sélectionné au Festival de Cannes, section Semaine de la Critique. Quant à l’actrice principale Mouna Hawa, elle collectionne déjà les prix d’interprétation féminine de Los Angeles à la Chine en passant par les Pays-Bas et l’Arabie Saoudite.
On ne dira pas inchallah un bon film venu de là où les femmes sont encore à l’aube de leur lutte émancipatrice puisqu’il en existe déjà au moins un !
Jean-Pierre Haddad
Inchallah un fils, Amjad Al Rasheed, Jordanie 2023, 1h54. Sortie nationale le 06 mars 2024.
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