C’est par hasard, en assistant à une scène de rue qui réunissait un groupe de personnes écoutant attentivement et respectueusement un « Socrate » en la personne d’un vieil homme qui en présentait toutes les caractéristiques physiques, que Lav Diaz a trouvé la confirmation d’un projet de film qu’ils s’apprêtait à écrire.

Muni de sa caméra, il a pu enregistrer une grande partie du monologue du « sage » avec en fond sonore, le bruit du roulis des vagues, le souffle du vent, le cri des mouettes.

Le résultat de cet enregistrement avec, derrière le discours, la musique de sons naturels a inspiré au cinéaste, avec un sentiment d’émotion, une sorte de chant funèbre.

Cinéma : Halte
Cinéma : Halte

Pour Lav Diaz, cette scène qui n’avait objectivement rien pour tourmenter et qui, cependant, était inquiétante allait le confirmer dans l’idée que les dictateurs, les fascistes, les despotes et autres leaders fous, mégalomanes ont de beaux jours devant eux, face à une humanité majoritairement crédule qui a tendance à retenir les paroles du dernier qui a parlé, une humanité qui a la propension à l’ignorance et qui par là, conduit à fabriquer des mythes, à encourager l’existence de toutes sortes de psychopathes et autres mythomanes : ceux qui, derrière les murs de leurs palaces, de leurs luxueuses propriétés, de leurs retraites au soleil, tous les nantis de ce monde qui vivent hors sol et que l’apathie générale et une admiration à leur égard a définitivement installés dans leurs forteresses.

Pourtant qui d’autre que le peuple qui, par sa passivité et sa fascination pour ce qu’il n’obtiendra jamais, peut être capable de les faire tomber.

Lorsque le « Socrate » de la rue qui faisait l’admiration du petit groupe de personnes, après dispersion, s’est retrouvé seul, Lav Diaz, l’a abordé. Ensemble, ils sont allés boire des bières.

Lav Diaz lui a parlé du film qu’il allait tourner, un mélange de science-fiction et d’horreur, l’histoire de la chute d’un dictateur, de la fin de la moralité, de la mort de la vérité.

Le prédicateur a mis un terme au tête à tête par cette phrase qui a donné à réfléchir au cinéaste : «  Ne fais pas confiance à ce que tu connais ».

Un film de Lav Diaz ne se raconte pas. Mais alors, que se passe-t-il à l’image pendant les quatre heures trente sept qui filent sans qu’on s’en rende compte, pendant lesquelles l’attention ne tombe pas et qui souvent révèlent des moments saillants et passionnants ?

C’est la magie du cinéma associée à un immense talent de conteur contenu. C’est une suite de courtes ou de longues séquences qui constituent chacune la pièce d’un puzzle qui lorsqu’il révélera son motif final nous aura tenu sur le qui-vive, dans d’inconfort volontaire et assumé d’une narration tronquée ou étirée dans le temps, où des personnages disparus réapparaissent pour révéler ou pour se révéler.

Qui est le dictateur de « Halte », un personnage burlesque, fantasque à qui sa fantaisie n’ôte jamais son désir de persécuter, sa soif de pouvoir et tout cela, de son point de vue, sans qu’il en doute une seconde, est fait pour le bien de son peuple ?

Il périra quand, trop rapproché d’un monde qu’il ne connaissait pas, il voudra, avec les bons sentiments, rendre à des enfants le ballon qu’ils avaient égaré.

Il mourra quand sa nature de despote ne pourra s’accommoder de ce qu’il est devenu quelques instants, humain…

Magistral. Magnifique.Magnétique…

Francis Dubois


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