En 1891, Gauguin décide de quitter sa famille aimée, ses compagnons peintres et de partir pour Tahiti où il imagine, selon une image idéalisée des îles, qu’une vie facile lui permettra de se consacrer totalement à la peinture, en homme libéré des contraintes et des tentations de la ville.
Il y vivra à la sauvage loin des codes moraux, politiques et esthétiques de l’Europe civilisée.
Arrivé sur place, il choisit de vivre dans la jungle, bravant la solitude, la pauvreté et la maladie qui le menace depuis son arrivée.
Il y fera deux rencontres déterminantes en les personnes de Téhura qu’il épousera, qui sera le sujet de ses plus grandes toiles et du docteur Henri Valin qui deviendra un ami, veillera sur lui et lui évitera de sombrer.
A la lecture de « Noa Noa» , le carnet de voyages écrit par Gauguin au cours de son premier séjour à Tahiti, le cinéaste Édouard Deluc fait aussitôt le projet de réaliser un film centré sur le peintre, dans sa période tahitienne.
Ce récit d’aventures qui comporte un large souffle romanesque est également un journal intime animé d’une grande humanité.
Tous les personnages du film ont existé et tout ce que le film donne à voir est vrai même si, inévitablement dans une adaptation, la réalité se trouve être parfois romancée.
Deux phrases prononcées par Paul Gauguin: «J e ne suis pas ridicule ; je ne puis l’être car je suis deux choses qui ne le sont jamais, un enfant et un sauvage» et « Je retournerai dans le forêt pris de calme, d’extase et d’ar t.» vont guider Édouard Deluc dans l’écriture de son scénario et lui servir de limite pour rester dans l’authenticité du personnage du peintre.
Si le film évite les moments saillants de l’épisode tahitien pour se cantonner au plus juste d’une vie modeste, consacrée à la peinture et à la vie commune du peintre avec Téhura, jeune femme discrète, le récit efface au fur et à mesure des séquences, l’image idyllique que Gauguin s’était faite de l’endroit…
Il devra, pour survivre, malgré son état de santé, travailler durement, réduisant considérablement le temps consacré à la peinture. Il en sera réduit à vendre sur les marchés pour quelques sous, à des riches blancs, ses dessins et ses bois sculptés.
Il connaîtra la trahison en la personne de son dévoué jeune aide qui deviendra l’amant de sa femme et qui, imitant les travaux de sculptures, trouvera des débouchés commerciaux.
Le film d’Édouard Deluc ne trahit jamais le journal du peintre duquel il est adapté, quitte à jouer la partition narrative en «mode mineur» mais il bénéficie d’atouts importants : La composition de Vincent Cassel, magnifique et passionnant, dont le jeu tout en nuances conduit à l’émotion, celle de Malek Zidi dans le rôle d’Henri Valin généreux et attentif et de la belle Tuhei Adams.
La magnifique photographie, jamais esthétisante, d’inspiration très picturale, en parfaite harmonie avec la mise en scène discrète, est nette de tout effet superflu qui aurait pu être la pente naturelle de l’œuvre et priver d’émotion un récit tout en demi-teinte.
A voir.
Francis Dubois
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