Hafsia, Douce, Delphine et Charlotte, quatre jeunes femmes qui cherchent à s’affranchir des limites que les règles de la société veulent leur imposer, quatre héroïnes dont on a l’impression qu’elles prennent elles-mêmes en charge leur propre portrait. Quatre personnages d’aujourd’hui pour trois histoires d’aujourd’hui en prise totale avec l’air du temps et qui vont jusqu’à s’immiscer dans le contemporain immédiat et faire référence à des situations et des personnages réels…
«Féminin plurielles » réunit trois courts métrages que Sébastien Bailly a tournés entre 2011 et 2015, qui constituent les trois chapitres du film et qui sont trois fenêtres ouvertes sur le monde.
Douce est infirmière auprès de malades en fin de vie. Elle accomplit sa tâche avec sérieux mais bien au-delà, avec une généreuse implication que réprouve sa hiérarchie.
Et la voilà qui s’attache à un homme plongé dans un coma dont elle sûre qu’il est sensible à la douceur de ses gestes, de sa voix et avec qui elle finira par déborder les limites permises à une infirmière dans l’exercice de sa fonction.
Mais comment faire admettre que les attouchements qu’elle échange avec l’homme malade ne sont empreints d’aucune perversité et qu’ils aident cet homme dans la force de l’âge à vivre une rencontre amoureuse et une sexualité passives…
Douce est interprétée par Lise Bellynck que Sébastien Bailly avait remarquée dans «Les anges exterminateurs» de Jean-Claude Brisseau. La comédienne offre au personnage de «Douce» une innocence angélique que vient troubler une étrange sensualité.
Hafsia a la pureté de Douce. Cette jeune fille porte le hijab, vit chez ses parents, et a un amoureux non musulman. Hafsia étudiante en Histoire de l’art, est d’autant plus dure à la tâche qu’elle est à quelques jours d’un examen qui la hante. La sagesse, la pudeur du personnage ainsi que le port du hijab entrent en contradiction avec le choix de l’œuvre picturale qu’elle doit commenter face au jury : «La Grande Odalisque» de Ingres, montrant une femme de dos, nue et lascive, son opulente chevelure lâchée, offerte aux regards des hommes,
Le personnage de Hafsia oscille donc entre l’austérité et la pudeur qu’elle affiche et son interprétation du tableau d’Ingres qu’elle prendra comme une sorte de revanche, en s’attardant forcément sur l’indécence des détails du corps et des postures.
Le troisième volet qui met en présence une journaliste de la presse locale et une photographe allemande se situe dans le contexte du quinquennat de François Hollande, au moment précis d’une des visites officielle du Président à Brive. Chargée d’initier Charlotte à l’histoire de la ville et de la Corrèze, Delphine abordera avec elle le massacre d’Oradour en juin 1944 commis par la Division SS Das Reich qui se livrait quotidiennement à des expéditions punitives.
Face à l’amitié qui naît entre les deux jeunes filles surprises à déambuler de nuit dans les rues désertes de Brive, on oublie un peu la raison pour laquelle elles se sont rencontrées, ces cinq minutes du temps du Président Hollande nécessaires à Charlotte pour réaliser les clichés qu’elle a promis de livrer à son journal.
La grande diversité d’atmosphère et de fond qu’offrent les trois films réunis en un seul atteint un degré d’harmonie et d’équilibre tel qu’une sorte de grâce mystérieuse gagne, que fluidité des récits et de la caméra relaient pour composer au final une œuvre qui au delà de son élégante simplicité, va creuser de nombreux sillons de réflexions.
Ce coup d’essai est un coup de maître et si Sébastien Bailly sait mettre au service d’un «vrai» long métrage les qualités dont il a fait preuve ici, il est fort probable que c’est quelqu’un dont reparlera bientôt…
En attendant, « Féminin plurielles» est un vrai régal….
Francis Dubois
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