Dans un lotissement pavillonnaire à la périphérie d’une ville de province, trois voisins qui se sont connus sur un rond-point pendant le mouvement des gilets jaunes sont comme tant d’autres en difficulté avec les nouvelles technologies qui, alors qu’elles devraient simplifier l’existence, la compliquent de plus en plus, sans compter leurs effets secondaires liés à des intrusions qu’elles opèrent dans leurs vies intimes. Marie au chômage et mère d’un adolescent est victime de chantage avec un sextape. La fille de Bertrand est harcelée au lycée par des élèves qui en ont fait leur souffre-douleur et Christine, chauffeur de VTC qui, au lieu de cumuler les étoiles, vu la qualité de ses services, voit les notes décernées par ses clients stagner.

Ensemble, ils décident de partir en guerre contre les géants d’internet même si c’est une bataille perdue d’avance…

« Effacer l’historique  » est la 10ème collaboration pour l’écran du duo de cinéastes que forment Benoît Delépine et Gustave Kerven.

Ils portent ici sans concession et surtout sans céder à la moindre facilité dans la forme adoptée, un regard à la fois candide et juste et terrifiant sur cet étau qui se resserre sur nos existences et qui nous conduit tout droit vers une sorte d’asile, de prison à ciel ouvert.

L’homme n’avait pas jusque là de réel prédateur alors, comme si ça manquait, il en a crée un : l’intelligence artificielle qui l’a très vite débordé, qui s’est bientôt avérée beaucoup plus puissante que lui et qui n’en est qu’aux prémices de son pouvoir destructeur.

La vie quotidienne passe aujourd’hui par d’incroyables méandres, par des zones d’ombre indéchiffrables non sans provoquer un fond de culpabilité qui voudrait nous amener à penser que nous sommes des inadaptés au « monde moderne », des citoyens à la traîne.

La moindre des démarches entreprise, la moindre demande de renseignements, la moindre demande de rendez-vous est aujourd’hui contrariée par l’absence d’interlocuteurs au bout du fil, des voix fantômes qui sont à l’autre bout du monde et par la présence de boites vocales chargées de réponses toutes faites.

Cette absence de contact humain direct ne se contente pas de nous isoler et de renforcer nos angoisses dans un univers où les mots de passe sont devenus de redoutables et incontournables « Sésame ».

Dans leur film de Benoît Delépine et Gustave Kerven se font ici les porte-paroles des millions de victimes que nous sommes, otages de l’emballement désormais incontrôlable et de l’usage intempestif des nouvelles technologies.

Au lieu de choisir la facilité, de réaliser une comédie qui se prêtait au sujet, les deux réalisateurs ont opté pour un film beaucoup plus nuancé, dans une tonalité grave, sans pour autant nous priver de situations proches du surréalisme qui habitent notre quotidien et qui peuvent prendre un tour cocasse (la jeune femme qui pour ne pas égarer ses mots de passe les conserve dans son congélateur et qui, faute de pouvoir les mémoriser entre leur lecture et l’écran, les photographie avec son smartphone).

Cinéma : Effacer l'historique
Cinéma : Effacer l’historique

Faut-il pleurer, faut-il en rire ? Entre les deux, Delépine et Kerven ont trouvé le ton juste entre lucidité, gravité et drôlerie qui conservent à leur film à la fois le charme de la comédie et celui d’une tragédie sournoise et beaucoup plus ravageuse qu’il n’y paraît…

Un regard lucide sur les conséquences perverses de l’ivresse du progrès…

Francis Dubois


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