Amina, Sami et Jennifer sont élèves d’une classe de 1ère dans un lycée du 93. Sous la direction d’une équipe de professeurs, ils se lancent dans une enquête portant sur le gigantesque projet de la construction d’un centre de loisirs qui menace de bétonnage des centaines d’hectares de terres agricoles fertiles dans le secteur proche de leur cité. Mais a-t-on le moindre pouvoir d’agir sur un projet dans lequel des investisseurs ont déjà engagé des millions d’euros et qui est de plus soutenu par les instances supérieures et le maire de la ville. Avant que leurs professeurs leur proposent cette enquête, les lycéens, pas plus que de nombreux habitants de la commune n’avaient eu vent du projet. S’ils avaient été tenus au courant c’était pour leur faire miroiter les retombées avantageuses d’un projet ambitieux qui entraînerait de nombreuses propositions d’embauche pour remédier au chômage local, un plus large éventail de commerces, une piscine, une piste de ski artificielle et autres lieux de loisirs. De quoi séduire dans un secteur où le taux de chômage bat des records et où les distractions qui font défaut favorisent l’inaction de jeunes et les livrent à eux-mêmes.
L’enquête va permettre à ces jeunes gens de rencontrer des habitants du quartier avec qui échanger sur le projet, des promoteurs immobiliers, des agriculteurs qui exploitent ces terres depuis des lustres, le maire de la commune et même des élus de l’Assemblée nationale. Des échanges réjouissants qui conduiront à lever le voile sur la réalité du projet, bousculeront les idées reçues et raviveront le lien à la terre.
Quand il avait l’âge des jeunes gens du film, le réalisateur avait travaillé sur des chantiers de construction de bâtiments industriels et il a pris conscience de l’étendue des terres agricoles ou potagères sacrifiées à des fins de profits financiers et sans, en retour, profiter pleinement aux autochtones. Alors que l’Île de France est saturée de centres commerciaux, 1400 hectares de terres agricoles disparaissent chaque année. Si Amina, Jennifer et Sami n’avaient pas entendu parler du projet d’Europa-City, ils étaient encore moins renseignés sur la disparition des terres et ses conséquences. L’agriculture n’était pas leur préoccupation et ce n’est que lorsqu’ils rencontrent un agriculteur qu’ils mesurent son attachement à ces terres qui lui viennent de ses ancêtres, qu’ils découvrent l’existence de la culture bio et le réseau des Amap qui rejoignent le goût d’une clientèle de plus en plus soucieuse de consommer des produits sains, qu’ils prennent conscience de la nécessité d’entrer en lutte contre le bétonnage de ces terres qu’ils avaient sous les yeux. Cette prise de conscience ne se fait pas du jour au lendemain dans « Douce France ». Elle se fait au fur et à mesure des rencontres qui mûrissent l’enquête, des arguments des défenseurs du projet qui s’affaiblissent un peu plus à chaque fois. Ces garçon et filles prennent le temps de la réflexion pour choisir leur camp et c’est là une des forces de ce film. Le film a été tourné en cinémascope. Un choix qui permet de jouer avec les contrastes entre les plans larges et les plans rapprochés, l’agriculture artisanale et les constructions gigantesques. Le lycée Jean Rostand que fréquentent les trois jeunes gens est à Villepinte qui est à la fois une des plus jeunes villes de la banlieue parisienne où 45%de la population a moins de trente ans, mais aussi la plus pauvre avec un taux de chômage record en Seine St Denis et qui, paradoxalement est le département qui compte le plus d’espaces commerciaux par habitant. Le projet pédagogique de l’enquête reposait sur plusieurs disciplines : la géographie (mutation des espaces industriels, agricoles et tertiaires), sciences de la vie et de la terre (espaces agricoles, écosystèmes) sciences économiques et sociales (modèles économiques et rôle des collectivités). Le choix du titre du film, celui d’une chanson de Charles Trenet qui fait référence à une France disparue est en total contraste avec le nom du projet gigantesque : « Europa City ».
Une belle et solide démonstration que tout n’est pas perdu et qu’une lutte argumentée peut porter des fruits (même si le projet momentanément arrêté n’est en fait que suspendu).
Francis Dubois
« Douce France » un film de Geoffrey Couanon. Sortie en salles le 16 juin.
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