Chaque année, à Stip, petite ville de Macédoine, au moment de l’épiphanie, le prêtre de la paroisse lance une croix de bois dans le fleuve au terme d’un sermon. Des centaines d’hommes plongent pour la récupérer dans le remou des flots, sachant que celui qui y parviendra sera assuré de bonheur et prospérité tout au long de l’année.
Petrunya, une trentenaire qu’on dit laide et peu désirable, chômeuse, tout frais sortie déprimée d’un entretien d’embauche foireux, qui passait par là au moment où le prêtre lance la croix se jette à l’eau et c’est elle qui, à la barbe des hommes, ramène la fameuse croix.
Elle est aussitôt contestée, se voit interdite de savourer sa victoire et ses conséquences, puisqu’un règlement implicite a toujours interdit aux femmes de participer au jeu.
La guerre est déclarée entre les hommes frustrés qui veulent récupérer la croix et Petrunya qui leur tient tête, en déclarant qu’elle a gagné sa croix et qu’elle ne le rendra pas.
Contestée, Petrunya finit par se retrouver au poste de police local.
En 2014, à Stip, une femme a récupéré la croix dans le fleuve et son geste a soulevé un tollé au sein de la population locale et des autorités religieuses.
L’incident a fait grand bruit au point que la championne contestée a pu prendre la parole sur les ondes de la radio locale pour engager les femmes à participer dorénavant chaque année à l’événement…
Pour la réalisatrice et la productrice du film, la réaction d’hostilité à cette victoire féminine traduisait à la fois un réflexe naturel de conformisme social, des signes de misogynie et l’existence de forces patriarcales profondément ancrées autant d’éléments qui méritaient de servir de sujet à un projet cinématographique.
Teona Strugar Mitevska a-t-elle réalisé un film féministe ?
Ce qui est intéressant dans sa réalisation, c’est la façon avec laquelle elle fait naître le féminisme chez Petrunya. Tout laisse à penser que dans son existence terne et marquée par sa passivité avant que sans l’avoir prémédité, elle ne « se jette à l’eau », l’idée ne lui était pas venue.
Et c’est à la suite de l’événement qui l’a faite victorieuse par hasard et face à la réaction coléreuse des hommes que va lui venir, avec la revendication de sa victoire, un comportement visant à défendre à travers les siens, les droits de la femme.
Mais « Dieu existe, son nom est Petrunya » peut tout autant revendiquer la légitimité d’être un film sur le combat entre tradition et modernité.
En tous cas le récit ne traite pas ces sujets de façon frontale mais les introduit de façon souterraine dans son déroulement .
« Dieu existe… » qui aborde des sujets sociaux n’est pas un film social mais une sorte de conte contemporain où le féminisme et la lutte contre le patriarcat ou contre l’attachement à des traditions ancrées s’invitent mais presque sans qu’il n’y paraisse, masqués par l’aventure que vit Petrunhia, par l’interprétation dévorante de la comédienne Zorica Nusheva et par les interventions « dispersantes » des personnages qui gravitent autour d’elle, une mère qui ne conçoit pas le bonheur hors des traditions, une journaliste ouverte à la modernité, un jeune policier qui trouve dans Petrunha une réplique féminine à sa nature passive et qui y découvre l’amour.
Petrunha qui finit par triompher des autres et d’elle-même et qui entame un autre cheminement, est une belle conclusion à ce conte sur la frustration des laissés pour compte.
Une œuvre originale et parfois déroutante qui, en échappant aux codes de la narration classique, trouve sa bonne tonalité…
Francis Dubois
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