C’est dans cette petite ville canadienne, à 500 kilomètres au sud du cercle polaire, que le conducteur d’une pelleteuse a mis au jour en 1978, lors de travaux pour un centre de loisirs, des boîtes contenant des centaines de bobines de films muets et des bouts de pellicules au nitrate. Un miracle ! Conservés dans le permafrost depuis 49 ans ces morceaux de films muets – souvent disparus puisque les films au nitrate hautement inflammables sont très nombreux à avoir été détruits dans des incendies – et ces nombreuses images d’actualité ont réussi à être sauvés, archivés et numérisés.
Dans cette histoire tout est étonnant, inconcevable et pourtant vrai. A Dawson City, un camp où se rencontraient populations autochtones et trappeurs, on découvre de l’or en 1896. Cent mille prospecteurs se jettent à l’assaut du grand Nord et le camp se transforme très vite puisque la ville compte 40 000 habitants en 1898. Des photos et un film extraordinaire de l’époque témoignent de cette ruée vers l’or avec des fourmilières humaines grimpant les pentes du col ou embarquant sur des bateaux de fortune pour passer les rapides et atteindre Dawson City. La ville se développe avec des banques, des hôtels, des cafés, des théâtres, un casino, des cabines de prostituées et un cinéma. On sait que de nombreux films de cette époque ont disparu dans les incendies un peu partout dans le monde. Dawson a la chance d’être en bout de course pour la distribution, les films y arrivent deux ou trois ans après leur sortie. Une fois projetés les distributeurs n’ont pas envie de payer pour les rapatrier. On leur dit de les déposer au sous-sol de la banque. De là ils voyageront vers le bassin de l’ancienne piscine devenu décharge. Certains seront jetés dans le fleuve, le Yukon, d’autres seront brûlés volontairement ou non. Ceux qui survivent sont enterrés. Des images d’actualités extraordinaires comme l’incendie du Bazar de la Charité ou la Marche de 1917 contre les violences faites aux Noirs, dorment sous terre. Dawson décline peu à peu jusqu’à n’avoir plus qu’une cinquantaine d’habitants en 1950. Après la fermeture en 1966 de la dernière mine d’or ne subsistent que des paysages ravagés jusqu’à cette découverte miraculeuse et le voyage de ces films, lui aussi plein d’aventures, jusqu’au lieu où on les sauvera de l’oubli.
Conjuguant poésie et émotion, le film de Bill Morrison, qui a obtenu de nombreux prix et est classé par la critique dans la liste des meilleurs documentaires des années 2010, témoigne à la fois de la soif d’un documentariste pour les histoires cachées et de la passion d’un archiviste pour récupérer et mettre en valeur les trésors cachés. Sur la bande son envoûtante d’Alex Somers se tissent, en une enquête qui tient le spectateur en haleine, l’histoire de Dawson City et l’histoire de la façon dont le cinéma ancien a été diffusé puis a parfois disparu, enterré, brûlé ou noyé, l’histoire inimaginable de la récupération et du sauvetage de ces images et ces images elles-mêmes. Poésie et émotion se conjuguent dans ce film hors normes.
Micheline Rousselet
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