Face au tribunal où il est présenté pour la tentative de meurtre contre l’homme de quarante ans qui a épousé dans l’intérêt de sa famille, sa sœur de treize ans, morte en couches pour grossesse prématurée, Zaïm un garçon de 12 ans répond à la question du juge «Pourquoi portez-vous plainte contre vos parents», «parce qu’ils m’ont donné la vie».
Le film de Nadine Labaki aborde de nombreux sujets mais qui sont intimement liés, autour de celui de l’enfance maltraitée, du mal logement, de la notion de frontières, de la nécessité d’avoir un papier pour justifier son existence, du racisme, de la peur de l’autre, de la convention du droit des enfants…
Le film raconte le périple de Zaïm qui décide d’intenter un procès à ses parents pour l’avoir mis au monde alors qu’ils n’étaient pas capables de l’élever convenablement, non seulement pour des seuls problèmes économiques mais aussi en le privant du moindre amour. Son cri qui est celui d’un enfant meurtri et mature avant l’âge, résonne comme celui de tous les laissés pour compte de notre monde.
La situation de sacrifié de Zaïm et sa réponse au juge du tribunal ouvrent sur tous les sujets qu’aborde «Capharnaum».
Car si l’enfant se retrouve la victime de tant de négligences de la part de son entourage, c’est parce que ses parents sont chômeurs, que l’appartement qu’ils occupent est insalubre. C’est parce qu’une menace d’expulsion plane sur eux, c’est parce que leur absence de revenus est insurmontable et que tous ces déficits les empêchent d’assumer leur rôle de parents.
Le peu de considération, Zaïm va le trouver hors de sa famille auprès de Rahll une sans-papiers venue d’Ethiopie, la mère célibataire de son bébé Yonas, qui a du mal à concilier un emploi de serveuse avec la garde de son enfant et qui trouve en Zaïm l’aide qui va la dépanner.
En retour de quoi Zaïm va connaître un semblant de foyer malgré des conditions d’hébergement très précaires.
Mais qu’adviendra-t-il le jour ou Rahll ne rentre pas chez elle et que Zaïm va devoir prendre en charge Yonas ?
Le film est à partir de là, livré au couple de personnages inédit que forment les deux enfants, au combat de chaque instant auquel se livre Zaïm pour se procurer la nourriture du bébé, la sienne et pour assumer cette garde pour laquelle, malgré sa débrouillardise, il est beaucoup trop jeune.
Et pourtant, on a ici les moments les plus forts du film qui n’en est pas avare.
On n’oubliera pas facilement l’image de Zaïm tirant un «véhicule» de fortune bricolé par lui et dans lequel il trimbale Yonas, dans l’indifférence générale, au hasard des ruelles du bidonville.
Le pitch qu’on peut faire du film de Labaki risque d’en donner une fausse idée. Le misérabilisme est bien là avec les deux enfants livrés à eux-mêmes. S’il a existé précédemment avec les conditions de vie de la famille, avec le mariage forcé d’une gamine de douze ans, la séquence de son enlèvement, la révolte impuissante de Zaïm à ce moment-là, il est modulé par l’interprétation charismatique des deux « acteurs », par leur force et leur vitalité, par la magie de la mise en scène et une direction de jeu incomparable.
La force du film tient au talent de la réalisatrice mais elle est indissociable du choix des comédiens tous issus de castings sauvages, tous remarquables, jusqu’au bébé.
Francis Dubois
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