Oulled Allal était un village situé non loin de la capitale algérienne et à proximité du maquis dans cette partie de la Mitidja qui s’étend du Sahel algérois au nord et de l’Atlas blidéen au sud et qui constitue ce qu’on a appelé dans les années 90, pendant la décennie noire, le triangle de la mort, parce qu’il était aux mains de groupes armés islamistes.
A partir de 1996, Oulled Allal, devenu un terrain d’affrontements terribles entre l’armée et les terroristes, est déserté par tous ses habitants. Les chantiers en cours sont abandonnés, les habitations dévastées et les rues ne sont plus qu’amas de pierres de telle sorte que le site a pris tout l’aspect d’ un champs de ruines.
C’est ce spectacle apocalyptique auquel ont eu droit les habitants quand, après les confrontations, ils ont pu rejoindre leur village. En arabe, ruines se dit Atlal et c’est le titre que Djamel Kerkar a donné au long métrage que lui a inspiré cette vision de village dévasté.
Le film débute avec des images vidéo brutes tournées pendant la décennie noire à l’initiative d’un homme mystérieux, un architecte venu filmer tout de suite après la destruction du village. Ce sont des images tremblées, prises avec une caméra incertaine, qui rendent compte de la destruction.
Djamel Kerkar a pu récupérer la bande digitalisée chez un ancien habitant qui refusait de retourner à
Ouled Allal et à partir de ce visionnage incertain mais très parlant, le fil qu’il projetait de faire a pris tournure : quelqu’un qu’il ne connaissait pas avait pris ces images quelques années auparavant. Des images qui racontaient tout sans aucune parole.
Le mot Atlal veut dire ruines mais il signifie aussi une pratique dans la poésie préislamique qui consiste à se tenir face aux ruines, à les contempler pour finir par en faire surgir des souvenirs, une mémoire.
Dans la première partie du film, le recueillement s’impose et il s’en dégage quelque chose de l’ordre du deuil.
Dans le deuxième partie, Djamel Kerkar, alors que des équipes d’ouvriers tentent de reprendre les chantiers où ils ont été abandonnés, qu’ils tentent de remonter les murs écroulés, recueille des témoignages auprès de représentants des différentes générations d’habitants. Il recueille les sentiments des anciens, ceux qui ont connu plusieurs phases de l’Histoire du pays, puis ceux d’une jeune génération égarée qui, n’ayant plus de repères dans l’Algérie d’aujourd’hui, n’ont plus d’autre recours que de se tourner vers l’émigration et vers ces pays d’Europe qui demeurent pour eux malgré les mises en garde, des pays de Cocagne, des Eldorados scintillants d’espoir.
Le cinéma algérien est en plein essor et « Atlal » prouve peut-être que le pays est sur le point de panser ses blessures en regardant la situation actuelle de façon frontale.
Un superbe documentaire poignant et constructif où, en dépit d’un constat peu engageant, luit une toute petite lueur d’espoir.
Francis Dubois
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