A peine sortis de l’adolescence, Xiao Min, Ling Ling et Lao Yeh ont les rêves de leur âge : partir et gagner leur vie.

Ils quittent leur village pour tenter leur chance et grossir la masse des employés de Yunnan, une cité ouvrière florissante des environs de Shanghaï.

Il vont déchanter face aux conditions de travail qui leur sont imposées. Mais même soumis à la précarité, à des hébergements de fortune, à l’autoritarisme des chefs d’équipe, il s’efforcent de croire à une vie meilleure.

Cinéma : Argent amer
Cinéma : Argent amer

Dans l’échelle du prolétariat chinois, les ateliers textiles arrivent juste au-dessus des briqueteries et des mines.

Ils sont pourtant des milliers de ruraux à se ruer vers les usines à proximité des grandes villes ou, à défaut, vers les ateliers du textile du Delta de la rivière des perles, sur la côte-est de la Chine.

Ils sont souvent confrontés au rythme infernal des journées à rallonge, à des tâches répétitives abrutissantes et à des patrons qui rechignent à payer les salaires régulièrement.

Mais en dépit de leurs déceptions, cette jeunesse exploitée garde la tête pleine de rêves et d’espoirs.

La camera de Wang Bing suit ces jeunes gens dans le déroulement de leur quotidien jusqu’à se perdre dans la cohue de cette main d’œuvre bon marché, facile à exploiter, et transforme chacun des personnages en héros de cinéma.

Ces jeunes gens sont des héros modernes de la mondialisation mais à quel prix ?

La main d’œuvre bon marché est devenue aujourd’hui le moteur du capitalisme rouge.

«Argent amer » a été tourné entre 2014 et 2016 dans la ville de Huzhou dans la province de Zhejian qui regroupe 18 000 entreprises de petite confection et emploie 300 000 ouvriers venus du Yunnan, du Guizhou, du Jiangxi, de l’Anhui et du Henan.

Mais petit à petit, confrontés aux rudesses du capitalisme mondialisé, les petits ateliers disparaissent. Fabriques de cartables, confections de doudounes et d’anoraks arrivent à des marges bénéficiaires qui ne permettent plus de payer leurs ouvriers.

Les «temps modernes» de Wang Bing sont ces petits ateliers en enfilade où tournent les machines à coudre. Les employés y sont sans «patron fixe». Les intérimaires sont payés à la pièce ou à l’heure et vivent au rythme «ciseaux, boulot, dodo»

A un ouvrier du film de Wang Bing qui, lassé d’attendre son salaire, projette d’aller embaucher dans une grande usine, une de ses collègue lance «Le sel a la même goût partout».

Si le film traite du problème global de l’émigration des ruraux vers les grandes villes et de l’acharnement de ces jeunes gens à croire en leur avenir contre vents et marées, misère et déceptions, il n’exclut pas de privilégier certains personnages pour faire des incursions dans leur intimité, comme celui de la jeune Ling Ling qu’on voit en perpétuel conflit avec son mari.

Le film s’est nourri de ces rencontres occasionnelles mais en réduisant la part de la fiction à la portion congrue..

Par quelle tour de magie « Argent amer » qui ne relate que les activités ou les moments de non activités de quelques personnages à l’image, prend de façon souterraine mais pourtant évidente la forme d’une épopée moderne.

Passionnant. Pathétique et pourtant non dénué d’un espoir dont les protagonistes repousseraient, à chaque fois, un peu plus les limites….

Francis Dubois


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