Ils ont tous été condamnés à une longue peine de prison mais face à la caméra de Stéphane Mercurio, ils sont tout le contraire de l’idée qu’on pourrait se faire de personnes qui ont commis de graves fautes vis à vis de la société.
On ne saura jamais ce qu’ils ont commis pour avoir subi cette longue peine. Mais on sait, à travers les témoignages, tout ce que l’isolement carcéral peut comporter de rupture avec le monde, de douleur, d’humiliation, de rejet.
Pourtant ils sont là face à Didier Tuiz qui a entrepris la mise en scène de son dernier spectacle avec eux. Ils se racontent et le metteur en scène leur a donné comme consigne que ne jamais composer, de lâcher dans la plus totale liberté d’expression des épisodes de leur incarcération, des anecdotes, des impressions, des sentiments.
«Après l’ombre» est le troisième documentaire que Stéphane Mercurio a réalisé sur le monde carcéral mais c’est le premier qui aborde le sujet de «l’après-incarcération».
C’est dans cet objectif qu’elle rencontre Didier Ruiz qui s’apprête à mettre en place le projet d’un travail théâtral avec d’anciens «longues peines», que très vite s’impose à elle la matière d’un film qu’elle voit dans un premier temps comme un court métrage.
Le casting du travail théâtral de Didier Ruiz allait s’imposer à celui du film de Stéphane Mercurio, et le choix allait se faire parmi d’anciens détenus.
Seraient en lice ceux qui auraient l’autorisation de changer de région, ceux qui seraient disponibles pour participer à l’aventure et que leur travail n’empêcherait pas de faire la tournée qui suivrait.
Stéphane Mercurio a filmé dès les premières rencontres car même si les témoignages étaient encore hésitants, ils avaient la puissance du «premier jet» et Alain, Dédé, Eric, Louis et Annette allaient prendre leurs marques et imposer, chacun, leur présence.
Et même si la bonne humeur et la spontanéité sont présentes, on mesure à quel point la prison reste gravée jusque dans la chair. Ainsi, le toujours élégant Eric qui ne peut s’associer à un travail chorégraphique car le moindre contact que l’exercice impose lui est rendu insupportable par le fait qu’en prison, le «toucher» n’est jamais que violence.
Stéphane Mercurio savait, en entreprenant « Après l’ombre » qu’elle réaliserait un film sur la prison et sur un metteur en scène de théâtre au travail avec ses «acteurs» mais elle ignorait à quel point le vrai sujet qui s’imposerait serait la confiance et le collectif.
«Après l’ombre» est un film sur des corps à nouveau libres mais c’est surtout un film sur la libération de la parole. Et la prise de parole, à plus forte raison en public, prend un rôle important dans la confiance en soi, l’estime de soi mise à mal par l’incarcération.
La place de la caméra de Stéphane Mercurio est à la fois à l’écoute des protagonistes et attentive au travail de Didier Ruiz. Et le metteur en scène de théâtre est aussi un personnage du film.
La caméra est à la fois dans l’intimité du groupe et à distance sans jamais être intrusive et on a tout au long de la projection l’impression qu’elle a su saisir ces moments parfois fugaces où les choses se révèlent, où tout à coup, quelque chose survient.
Les expériences conjuguées et complices de Stéphane Mercurio et Didiez Ruiz paraissent souvent restituer une reconnaissance à des individus qui renaissent à la société et le fait qu’on ait tu les actes qu’ils ont autrefois commis contribue en les dispensant d’une mauvaise image à les rendre intacts à la vie retrouvée.
Francis Dubois
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