En recueillant les souvenirs de ses anciens compagnons de combat, le film de Viviane Candas suit le parcours d’Yves Mathieu anticolonialiste en Afrique Noire avant de devenir un des avocats du FLN.
A l’indépendance de l’Algérie, il est chargé par le Président Ben Bella de rédiger les « Décrets de Mars » sur les biens vacants et l’autogestion promulgués en 1963.
La vie d’Yves Mathieu, idéaliste tenace, est rythmée par ses engagements dans une Algérie offerte à l’époque à un avenir radieux et qu’on appelait alors « Le Phare du Tiers Monde ».
Mais le 16 mai 1966 après la destitution de Ben Bella, alors qu’Yves Mathieu persiste sur sa même ligne de militant, il périt dans un accident de la route dont on ne saura jamais si c’était un accident ou un attentat.
Viviane Candas est la fille d’Yves Mathieu.
Elle a bâti le projet de film sur le doute à propos des circonstances de la mort de son père, à ce jour toujours pas élucidées.
C’est après le décès de sa mère, à la suite de la découverte de documents qui témoignaient de la proximité de son père et de Chérif Belkacem, un de ses compagnons de route qui, peut-être prévenu de l’attentat qui menaçait Yves Mathieu, n’a rien fait pour l’empêcher, que Viviane Candas a décidé de réaliser » Algérie du possible »
A partir de l’engagement de son père dont elle invite à découvrir le parcours militant depuis sa lutte anticolonialiste en Afrique subsaharienne en 1950, jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en tant qu’avocat du FLN en passant par sa participation active, sous le régime Ben Bella, à la construction de l’Algérie nouvelle sous des auspices démocratiques, la cinéaste retrace l’histoire du pays depuis le début de la lutte pour l’indépendance en 1954 jusqu’à la période post indépendance, le renversement de Ben Bella, l’arrivée au pouvoir de Boumediene.
Son film vaut par cette revisite de ces pages d’histoire à laquelle sont associés le drame personnel, la mort du père et l’impossibilité d’accéder à la vérité.
Alors qu’il avait pris une part active à la construction de l’Algérie, Yves Mathieu, sans doute parce qu’il appartenait au Parti communiste algérien, en dépit de sa demande, n’a jamais accédé à la nationalité algérienne de son vivant.
La redistribution des biens vacants après l’indépendance et l’établissement des règles de l’autogestion étaient les deux grands points du projet auquel il a consacré une partie de sa vie de militant.
Mais celui que l’avocat Verges, qui témoigne dans le film, avait qualifié de naïf avait-il imaginé que les dossiers sur lesquels il travaillait allaient à l’encontre de la mise en place, dès 1962, d’une nouvelle bourgeoise qui comptait bien « tirer les marrons du feu » et cumuler les privilèges ?
Les comités de gestion se sont soldés par un échec et la redistribution aux petits paysans des terres des grands domaines que le départ des grandes fortunes coloniales avait laissés vacants n’a jamais pu se réaliser.
A la déception d’Yves Mathieu de voir s’effilocher des projets qui lui tenaient à cœur s’est ajoutée la chute de Ben Bella et si rien n’est prouvé, il est possible qu’il se soit, à l’époque, clandestinement engagé, avec la complicité d’officiers de l’armée, à un complot contre Boumediene.
Le film de Viviane Candas, outre ses nombreuses qualités documentaires, a le mérite de revenir sur la période de 1962 à 1965 très peu traitée au cinéma. De plus, en Algérie, la jeunesse connaît mal la période de Ben Bella et de l’autogestion totalement écartée de l’histoire du pays.
Sait-on aujourd’hui en France que les combattants anticolonialistes était d’anciens combattants de la France libre ou que le napalm a été utilisé en Algérie pendant la guerre d’indépendance ?
L’un des intervenants, proche d’Yves Mathieu, se pose dans « Algérie du possible » la question de savoir comment une « révolution magnifique » a pu engendrer, cinq décennies plus tard, la situation qui est celle du pays aujourd’hui.
Le bouleversant film de Viviane Candas contient une ébauche de réponse.
A voir absolument !
Francis Dubois
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