Elle s’appelle Malika. C’est presque une vieille dame. En plein désert algérien, au bord d’une route peu fréquentée qui relie Alger à Tamanrasset, elle tient un établissement dans un sorte de baraquement. Elle accueille, pour une cigarette, un café ou des œufs, des routiers, des êtres en errance et des rêves.
Le premier film de Hassen Ferhani « Dans ma tête un rond-point » avait pour cadre l’abattoir le plus important d’Alger. Après un premier film qui se passait dans un lieu clos et oppressant, Hassen Ferhani a eu envie de prendre le large, l’idée de faire un road-movie, un genre qui l’a toujours attiré.
Il lui est arrivé souvent de rouler en Algérie en direction du Sud à la recherche de lieux, de personnages et de leurs histoires. Entre autres périples qui l’ont amené d’Alger aux Hauts-Plateaux puis vers le Sud algérien, il a choisi de rejoindre la Nationale 1. Dans le livre de Chawki qui avait pour titre « Nationale 1 » dont il ne savait pas si les personnages étaient réels ou pas, il avait retenu celui de Malika. Malika était-elle réelle ou était-elle un fantasme littéraire ? Mais dès que Hassen Ferhani est rentré dans le baraquement buvette, il a tout de suite reconnu le personnage et dans le même temps il a su que son film était là et que c’était elle qui serait au centre. A 74 ans, cette femme qui casse l’image de la femme algérienne souvent montrée comme dépendante et soumise est un exemple de liberté. « 143 rue du désert » est un road-movie inversé. Le film ne se déroule pas le long d’une route. Ici, on est dans un endroit fixe situé sur une route. Le film parle de tout ce qui peut se passer dans un espace de 20 m² comme échoué de nulle part. Le Sahara paraît désert, très vide. Dans la réalité c’est un espace où on vit, où on travaille, où on voyage. Le relais de Malika se situe quasiment au centre géographique de l’Algérie, un lieu qui concentre des atmosphères et qui rassemble des gens qui viennent de toute l’Algérie. Dans le film, il s’agit de ceux qui la traversent pour gagner Tamanrasset à l’extrême sud ou Alger à l’extrême nord. 143 rue du désert est un lieu clos ouvert sur l’Algérie et le monde. Malika est connue à des centaines de kilomètres à la ronde. Pour les routiers, elle est une étape incontournable, un repère mental qui apaise les solitudes et qui écoute comme une mère. Malika est une sorte de sainte profane dans son mausolée. Le film balaie bien des aspects de la société algérienne sans tomber dans l’archétype et sans prétendre être une démarche sociologique. La buvette de Malika est une sorte d’agora de démocratie avec des personnages attendus et des personnages qu’on n’aurait jamais pu imaginer dans ce lieu, ces voyageurs improbables qui voyagent en solitaire. Une longue période de recherches a été nécessaire pour préparer le film et pour éviter de faire des passagers, des clients de Malika, les personnages d’un catalogue. L’apparition d’une station-service à proximité de la buvette va-t-elle affecter Malika et nuire à ce que son établissement a été jusque-là. Mais Malika est confiante. Elle en a vu d’autres !
« 143 rue du désert » est un bain de dépaysement garanti.
Francis Dubois
« 143 rue du Désert » un film de Hassen Ferhani . Sortie en salles le 16 juin.
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