Comment faire couple ? Déjà faire duo. Danser à deux, ensemble, tantôt corps à corps, tantôt en tandem ou en miroir. Sarah Baltzinger et Filippo Gualandris (il a remplacé au pied levé Isaiah Wilson blessé à la main, à gauche sur la photo) explorent cette question dans le moindre détail de leur corps. Tenter de créer une structure qui inclurait les deux registres de ce duo ; une mégastructure, grande et à géométrie variable car elle comprendrait les deux corps et leurs assemblages mais aussi leurs mouvements séparés. Dans l’espace nu et noir, ils s’empoignent et se meuvent l’un l’autre, par parties et membres comme si le corps de chacun n’était plus un organisme mais un mécano dont on pourrait bouger les pièces, s’amuser à le démonter et remonter autrement. Parfois, les deux êtres s’enchevêtrent et ressemblent à des chimères comme un.e humain.e bicéphale qui se déplace sur trois jambes. Animal hybride, composite et protéiforme.

Une autre comparaison pour approcher le travail chorégraphique radical et original de Mégastructure serait celle du Rubik’s cube. On cherche la solution en articulant et désarticulant les éléments simples de l’objet. Les bandes de couleurs seraient ici chaque membre du corps : mains, pieds, nuques, bras, têtes, avant-bras, chevilles doigts, etc., que l’on tournerait dans tous les sens mais sans vouloir nécessairement parvenir ici, à une solution précise. D’ailleurs, quand on réussit un Rubik’s cube, on s’emploie immédiatement à le défaire pour le plaisir de le refaire, l’excitation est dans la recherche et la vitesse. Entre les deux corps dansants, les gestes, les postures, les mouvements, les portés, les enroulés, les tombés, les rampés, les couchés, les assis, créent tout un lexique corporel dont les unités de sens semblent pouvoir se combiner à l’infini. Corps marionnettiques sans ficelles qui traitent de l’intérieur leur physicalité comme un langage absurde et rigolo à la fois.

Un travail intense et fou. Impressionnant et sans musique. Ou plutôt avec la seule musique des corps qui dansent : bruits des pas, des pieds et des mains qui frappent le sol comme des percussions. Les souffles aussi ont leur musicalité naturelle avec des variations de rythme et de hauteur de son. Ce n’est pas tout, Sarah Baltzinger développe une chorégraphie du regard saisissante. Ses mouvements d’yeux, ses regards changeants sont autant d’adresses au public, autant de façons de l’embarquer dans la recherche, pour son bonheur. Chose remarquable, le caractère mécanique de la chorégraphie ne manque cependant pas de susciter des émotions fortes. Elles sont augmentées par la grande proximité entre les corps dansants et le corps percevant du public.

Au final le duo fait-il couple ? Oui, mais pas au sens romantique. Plutôt comme en physique où le couple est une expression du « moment de la force », c’est-à-dire d’une combinaison de deux forces dans une action de déplacement rotatif. Ici, la force démultipliée est immense en intensité et la rotation se fait autour d’un axe imaginaire et mouvant, celui d’une danse qui ne cesse de s’inventer.

Mais ce mouvement sans fin, n’est-ce pas le propre de tout vivant ? Se pourrait-il que ça danse dans la nature sans sujet et en permanence ? (C’est fou comme danser peut faire penser !)

Bravo ! Un méga merci à Sarah et Filippo.

Jean-Pierre Haddad

Avignon Off. L’Atelier – La Manutention, 4 rue des Escaliers Sainte-Anne, Avignon 84000. Du 6 au 16 juillet 2024 à 18h. Informations : https://www.festivaloffavignon.com/spectacles/5306-megastructure

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