Muthos en grec, ça veut dire « récit ». Une chorégraphie est sans paroles et pourtant… Dans son précédent spectacle intitulé Ouvre la cage, cette danseuse, acrobate, mime et poétesse du corps qu’est Sara Pasquier racontait une histoire de perte de la liberté de mouvement et les efforts pour la recouvrer. Avec Méandres, l’artiste s’attaque à un grand mythe grec, celui de Thésée et le Minotaure. Les méandres sont celles du labyrinthe de Dédale où Thésée, fils d’Égée roi d’Athènes, s’aventure pour mettre fin à la cruauté de l’homme-taureau. Il s’y engage sans crainte de s’y perdre grâce à une ruse conçue par Ariane, fille de Dédale, consistant à dérouler derrière soi un fil qui permettra de retrouver le chemin de la sortie. Tiens, tiens ! Un fils de et une fille de s’unissent pour changer le sort d’autres jeunes gens, fils et filles anonymes, sacrifié.e.s et livré.e.s en pâture au Minotaure.

Les petits aiment les grandes histoires. (Les grands aussi !) On croit que c’est parce qu’elles charrient des émotions fortes, des peurs et des joies. Ce n’est pas faux mais ces affects portent les enjeux symboliques et éthiques de ces histoires fabuleuses. Peut-être, les petits les perçoivent-ils au moins confusément. Dans le cas présent, il se peut fort bien qu’on leur ait déjà raconté l’histoire. En tuant le Minotaure, Thésée met fin à une pratique de sacrifice humain. Tous les neufs ans, en effet, sept jeunes gens, filles et garçons vierges étaient livrés au Minotaure qui les dévoraient, avec la complicité du pourvoir grec. En aidant Thésée, Ariane trahit son père… En oubliant de hisser la voile blanche à son retour pour signifier à son père qui le guette, qu’il a réussi à tuer la bête et rentre sain et sauf, Thésée provoque la mort de celui-ci. A la vue de la voile funeste, Égée se jette en effet du haut d’une falaise dans la mer qui prendra son nom. Trahison d’un côté et peut-être acte manqué de l’autre… Il faut parfois provoquer l’effondrement de l’ordre ancien, patriarcal en l’occurrence, pour laisser place à la nouvelle génération.

Dans la chorégraphie de Méandres, le détail bien sûr n’est pas raconté, ni le décryptage du mythe proposé, mais tout est subtilement agencé, conçu et interprété. Le mythe est condensé et esthétisé, ce qui lui donne plus de limpidité. Rien ne manque en images et dramaturgie à l’histoire qui se déroule sous nos yeux. Sara Pasquier y a ajouté la poésie de son art gestuel, de sa façon de danser qui étrangement devient une façon de raconter. Toute son expression corporelle est mise au service de l’histoire sans pour autant que le fond n’écrase la forme. Bien au contraire, la forme exalte le fond, le sublime. Un dispositif technique ingénieux conçu par Jean-Luc Tourné, fait d’une structure modulable blanche qui sera bateau ou labyrinthe y contribue largement ; comme lors du départ audacieux de Thésée toutes voiles dehors ; comme aussi lors du combat entre Thésée et le Minotaure : le noir se fait sur l’allégorie scénique du labyrinthe et la danseuse réapparait mais entièrement prise dans une toile élastique noire. Formes et mouvements suggèrent parfaitement la chimère et l’on croit voir l’homme à tête de taureau, avec son buste imposant. Le combat est si âpre qu’humain et monstre se mélangent. Deux jambes sortent peu à peu de l’enveloppe noire, les bras encore dedans se dressent comme des cornes menaçantes. Bientôt, Thésée tout entier réapparait, corps dansant et triomphant, alors qu’il ne reste de la bête qu’un semblant de peau noire. L’instant d’après, comme par magie, la peau devient la voile du bateau rentrant vers Athènes. Voile prémonitoire d’un deuil puisqu’elle déclenchera la mort d’Égée. Oui, le récit chorégraphié et mimé de Sara Pasquier est lumineux mais aussi d’une grande beauté !  

Évoluant de bout en bout dans, autour et sur le cube de métal blanc, la danseuse parvient à danser le mythe comme on le chanterait. Chant homérique bien sûr ! On dit souvent que la danse est un langage du corps, c’est tellement vrai dans Méandres que le corps en devient parlant et même chantant sans prononcer un seul mot. D’autres langages muets participent de cette aventure-spectacle comme celui des costumes de Marie Ampe et celui musical de Julienne Dessagne, tous deux ponctués par les lumières de Julo Etiévant.

Revisiter la mythologie et ses « méandres » avec la Compagnie Petitgrain est un vrai bonheur !

Jean-Pierre Haddad

Création 2022. Reprise au Théâtre Golovine, Avignon(84) le 12 avril 2024 à 10h et à 14H30 et le 13 avril à 16H. dans le cadre du Festival jeune public PITCHO.

Site de la Compagnie Petitgrain : https://www.compagniepetitgrain.com/

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