
Huit danseurs et danseuses japonais, coréen et européen nous entraînent dans un marathon de danse où les concurrents sont peu à peu éliminés jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Les éliminés se réfugient à tour de rôle dans les toilettes, seul endroit où l’on peut être seul, pour cacher son émotion à l’abri du regard des autres. Ils y trouvent un livre, un recueil de nouvelles écrites par un grand poète japonais du début du vingtième siècle, Kenji Miyazawa.
La danseuse et chorégraphe japonaise Kaori Ito a choisi d’orchestrer ce marathon de danse autour des tubes qui ont marqué une période de l’histoire du Japon, nous faisant remonter le temps des idoles des années 2010 aux paysan.nes pauvres des années 1930, en passant par le boogie-woogie adopté après la guerre pour plaire aux soldats américains d’occupation et par la période hippie. Ce voyage dans le temps est marqué par un trait récurrent de la culture japonaise, l’acceptation du sacrifice de soi au bénéfice de la collectivité. Ce fut le cas des kamikazes ou des hommes torpilles pendant la guerre, mais aussi, de façon moins tragique, des idoles des années 2000 à qui l’on interdisait de tomber amoureux ou amoureuses pour ne pas se couper de leurs fans. C’est aussi le cas, chacun à leur façon, des deux frères dans Les pieds nus de lumière de Miyazawa.
Au fond du plateau des portiques de vêtements permettent aux danseurs d’aller changer leurs tenues lorsqu’ils changent d’époque. Les jupes plissées et chemisiers blancs des pop stars des années 2010 font place aux vêtements lamés et fluos des groupes des années 90 et on remonte ainsi dans le temps, mouvement hippie des années 70 avec pantalons pattes d’éléphant à fleurs, gilets à franges et bandanas, twist et rock des années soixante, jusqu’aux paysannes du début du siècle interprétant leurs danses rituelles pieds nus dans une terre trop peu fertile.
On est ébloui par l’énergie des danseurs, la rapidité précise des mouvements que coupe l’émotion devant celui qui, éliminé, se réfugie dans les toilettes pour y vomir d’épuisement ou tout simplement y trouver un peu de solitude. Il y a même de l’humour avec ce combat des genres entre fourreaux de lamé sexy et pop plus excentrique. Mais la fin nous ramène à une histoire triste avec le livre de Miyazawa. La voix d’Hichiro nous raconte son voyage terrible dans la montagne avec son jeune frère Narao, pourchassés par les démons au milieu d’une tempête de neige. Narao y perdra la vie, ce dont Hichiro ne pourra revenir indemne. Les danseurs deviennent ces enfants perdus dans le brouillard, les démons qui les terrorisent, mais aussi le vent, la neige et même Shiiin, l’onomatopée qui désigne le silence.
Un spectacle qui, sous le brillant des costumes, le rythme des musiques et l’énergie de la danse, raconte ce que l’histoire japonaise, sous le sourire qu’impose la politesse, recèle de sacrifices et d’exclusions.
Micheline Rousselet
Spectacle vu lors des Premières européennes au TJP-CDN de Strasbourg – Tournée en construction
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