Dans des lumières grises et rasantes, une espèce androïde tente de sortir de sa torpeur en des mouvements lents et encore engourdis. Sans trop savoir ce qu’ils font sur cette terre nue comme un plateau de ballet, ces humanoïdes vertébrés et aptes à la danse, vont se défaire de leur propre nudité synthétique et progressivement accéder à la civilisation du vêtement d’homme au sens genré. Mais la mue est longue et pénible, plus l’on se couvre, plus l’on s’éloigne de soi et des autres ; plus l’habit fait l’homme, plus la rivalité s’installe… parfois aussi la fraternité. L’entraide finit par l’emporter et au terme d’un combat chorégraphique aussi étonnant que spectaculaire, la culture du vêtement masculin triomphe dans sa forme aboutie du complet-veston-chaussures-chemise-cravate-et-pochette, en un mot, le costard ! Mais « Est-ce l’homme qui fait le costume ou le costume qui fait l’homme ? » interroge le chorégraphe Hafid Sour. Il serait tentant de répondre « les deux mon capitaine ! » mais la question vaut mieux que la réponse, car elle pointe la scène de la représentation sociale où l’habit peut signifier la réussite et la puissance. Vêtement normatif s’il en est, le costume d’homme s’est en effet imposé dans le monde politique ou des affaires chez les cadres et directeurs de tout secteur. C’est au point que la réussite comparable de femmes tentant de faire parité, passe très souvent par le tailleur qui est le pendant féminin du complet-veston, quand ce n’est pas tout simplement par le tailleur-pantalon qui en est la déclinaison féminine la plus masculine! Virilisme imité, inversé, détourné, retourné, brouillé, dépassé ? Dans tous les cas, le doute peut subsister puisque « l’habit ne fait pas le moine »!

Mais peut-on bien danser en costard ? Cela revient métaphoriquement à se demander si on reste libre en adoptant la norme sociale d’un vêtement strictement codé et ajusté. Ce qui peut être douteux sociologiquement devient évident devant la scène de Costard : en combinaison souple ou en costard, un bon danseur peut tout danser, même le hip-hop ! Et disons-le bien clairement, les danseurs de ce ballet en habit sont tous excellents. Il faut dire que la direction de Hafid Sour est plus qu’un leadership, une école de haut vol. Haut vol ou « au sol », car le vocabulaire chorégraphique de Costard emprunte largement aux battles de hip-hop d’où vient le chorégraphe. Déhanchements des bassins mas aussi du tronc-tête, désarticulations des membres, ondulations sensuelles ou cassures gestuelles, fluidité ou mouvements saccadés. Au sol ou en vol : pirouettes, tourniquets, poiriers, sauts, voltiges, portées. Énergie, frénésie, agilité, souplesse et force, expressivité et créativité et bien sûr, performances d’exception, toute la garde-robe du hip-hop est visitée avec grâce et beauté dans un ballet plein d’intelligence et de résonances sociétales.

Le public est pris dans le mouv’ en dépit des âges mélangés et de l’échantillonnage social nettement distinct de celui des scènes de la mouvance hip-hop. Le chorégraphe, danseur et acteur, Hafid Sour signe là une œuvre aboutie. Ce quadra lyonnais dont la famille est originaire de Tlemcen (Algérie) s’est fait connaître avec Silence, on tourne ! de la compagnie Pockemon Crew et par la tournée d’Olivia Ruiz en 2014. L’approfondissement de son travail chorégraphique qui est passé par de nombreuses réalisations donne dans Costard un fruit d’une grande maturité. C’est juste dommage qu’il n’y ait pas plus de dates et une grande tournée à venir. Avenir…

Saluons la qualité artistique de ce Costard sur mesure, « Chapeau ! »

Jean-Pierre Haddad

Théâtre Le 13e art, Centre Commercial Italie Deux, Place d’Italie, le 16 novembre 2022.

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