En 1987 Ute Lemper vient d’obtenir un Molière pour son rôle dans Cabaret mis en scène par Jérôme Savary. Elle a vingt-quatre ans et les journaux la qualifient de nouvelle Marlène, même blondeur, même beauté élégante, mêmes jambes longues et fines, même voix rauque. Timidement elle envoie une lettre à la grande dame de quatre-vingt sept ans, icône de la liberté et de la résistance, à son adresse connue de tous, un grand hôtel avenue Montaigne à Paris. Quelque temps après, à sa grande surprise, Ute Lemper reçoit un coup de fil de Marlène Dietrich. Une longue conversation s’amorce où la star va évoquer ses choix, payés parfois chèrement comme sa rupture avec l’Allemagne après l’arrivée au pouvoir d’Hitler et son engagement au côté des États-Unis dans la guerre, sa vie tumultueuse, Berlin, Hollywood, Paris, le cinéma et les scènes de music-hall, les hommes et les femmes qu’elle a aimés et quittés ou qui l’ont quittée, sa fille trop mal aimée et, la vieillesse venue, sa solitude que viennent distraire les cigarettes et le Moet et Chandon.
Ce sont ces confidences de la star vieillissante à la jeune débutante que Ute Lemper fait revivre alternant avec les chansons qui ont rendu célèbre Marlène. Sa voix grave se fait tantôt voluptueuse, tantôt insolente, tantôt grave et tantôt ironique. Trois musiciens, un pianiste (Vana Gierig), un contrebassiste (Romain Lecuyer) et un violoniste (Cyril Garac) l’accompagnent dans une tonalité jazzy. Elle est Ute et elle est Marlène, elle passe de l’allemand, à l’anglais et au français. Marlène parle de sa nostalgie pour sa langue maternelle, de son amour pour Rilke, évoque avec humour ses relations aux grands metteurs en scène Billy Wilder ou Sternberg, son grand amour avec Jean Gabin, sa relation à Garbo et à Édith Piaf. Elle s’affiche libre, que ce soit face aux Allemands qui la huent pour son abandon de l’Allemagne ou au commissaire de police parisien qui lui reproche de porter un pantalon !
Dans la première partie Ute Lemper porte une longue robe fourreau noire échancrée pour laisser voir ses jambes avec parfois un petit boléro ou une étole, elle se juche sur un tabouret jambes croisées sur un tonneau, dans la pose célèbre des affiches de L’ange bleu. Dans la seconde partie elle revêt la robe en lamé blanc des galas et des music-halls, multiplie les anecdotes souvent drôles sur le tout Hollywood avant que, l’âge venu, elle devienne plus sombre. Tout au long du spectacle elle entremêle les confidences aux standards qu’a immortalisés Marlène, de Ich bin von kopf bis fuss de L’ange bleu à Falling in love again, de Lili Marlene à la chanson antimilitariste de Pete Seeger Que sont devenues les fleurs et même à une chanson de Johnny Halliday. Elle incarne superbement le panache et l’ironie de Marlène comme sa mélancolie au soir de sa vie et porte brillamment la force de la liberté qui l’animait.
Micheline Rousselet
Du 16 au 18 décembre au Théâtre de la Concorde, 1 avenue Gabriel, 75008 Paris – theatredelaconcorde.paris ou 01 71 27 97 17 – Tournée à suivre
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