L’éducation de masse, l’école, même républicaine, seraient-elle un Cronos d’aujourd’hui qui dévorent les enfants qu’elles devraient élever, protéger, respecter ? L’image est forte mais elle est là, en début de spectacle comme pour alerter sur l’inversion possible de tout système se voulant vertueux. Alerte par la terreur inspirée de cet épisode mythologique dont le sens métaphorique n’est pas à négliger : une éducation sous la domination du patriarcat et de l’individualisme marchand peut certes socialiser des générations d’enfants à la chaîne (et dans des chaînes), mais aussi faire de nombreux dégâts dans la jeunesse du fait de contraintes sélectives qui ne sont pas dépourvues de violence mais manquent de beaucoup d’attention et d’amour à l’égard de l’éduqué.
Après l’évocation symbolique de Cronos, vient son anti-modèle : une femme courageuse. Au départ, une enfant qui s’ennuyait à l’école. Un peu plus tard, une jeune femme qui ayant bravé l’ordre patriarcal et médical, est devenue en 1896, à 26 ans, la première médecin d’Italie ! Cette jeune femme, du nom de Maria Montessori, émue par les familles pauvres vivant dans les rues de Rome, décide d’inventer une école pour leurs enfants. Très vite une nouvelle pédagogie naît de sa pratique, inclusive, respectueuse des enfants et de leurs rythmes de développement personnel… Et ça marche !
Contrairement à une opinion aussi répandue que fausse, la philosophie éducative montessorienne n’est pas le « laisser faire » voire le « laisser faire n’importe quoi » à l’enfant. En revanche, tout en donnant un cadre organisationnel et surtout, pas mal d’amour et beaucoup d’attention, Maria va faire en sorte que loin de laisser « faire à l’enfant ce qu’il veut », il puisse « vouloir ce qu’il fait ». Souvent, la vérité et l‘efficacité d’une doctrine nouvelle se trouvent dans son renversement d’une idée reçue et fallacieuse – par exemple Spinoza : « Nous ne désirons pas une chose parce qu’elle belle, mais nous la trouvons belle parce que nous la désirons. » La méthode Montessori a le projet de faire accéder l’enfant à son propre désir de connaissance, de socialisation même, et cela dans le plaisir d’un effort non dépourvu de beauté !
De la beauté, il y en dans l’espace scénique où Bérangère Warluzel, unique interprète de sa pièce, évolue comme dans un ballet et sur des airs d’opéras italiens – Certo ! Avec simplicité, et clarté, elle nous raconte la vie, les découvertes et inventions de cette pédagogue hors du commun, aussi connue que méconnue. Oui, nous connaissons tous son nom qui est devenu celui d’écoles privés en France mais très peu son existence, ses combats et la façon dont elle devenue cette figure exemplaire d’un nécessaire mais trop rare respect éducatif.
Et les enfants ? Absents ? Est-ce possible alors qu’ils sont au centre de l’œuvre et de la pièce ? La bonne idée de la mise en scène de Charles Berling, directeur du théâtre de Châteauvallon-Liberté, a été d’inventer une « classe fantôme ». Pas d’enfants, mais par moments, leurs voix qui bruissent en off. Pas d’enfants, mais leur petit mobilier dédié (celui de la tranche d’âge 3-6 ans). Pas d’enfants, mais Maria Montessori qui les regarde faire avec bienveillance, qui se penche au-dessus de leurs épaules invisibles, qui leur parle et les encourage ou conseille, tout en les laissant inventer leur liberté et leur maturité. Pas d’enfants, mais à la fin, tous les enfants du monde dans le discours de Maria à l’UNESCO, en décembre 1949. Trois ans avant sa mort, Montessori lance alors un appel universaliste à la paix entre les nations. Toute sa vie fut cependant, un engagement pour un humanisme de et par l’éducation des enfants du monde entier. Une vision de l’enfant épanoui comme avenir d’une humanité renouvelée.
La méthode Montessori comme beaucoup d’autres innovations pédagogiques ou éducatives justifiées et vraiment utiles, est à divers degrés entrée dans les pratiques communes des professeurs de toutes les écoles qui s’en inspirent peu ou prou. Les Écoles Montessori au nombre très réduit en France, ne sont pas toujours homologuées par l’Association Montessori de France mais la méthode a fait « des petits » y compris du côté des matériels d’éveil ou des jouets pour les jeunes enfants.
Avec une scénographie enchantée, réalisée par Charles Berling, une création sonore et visuelle de Vincent Bérenger et une écriture de Bérangère Warluzel accompagnée d’Amélie Wendling, la scène nationale Châteauvallon-Liberté nous offre une plongée dans l’utopie réaliste de Maria Montessori.
A voir absolument pour ne plus en parler sans savoir.
Jean-Pierre Haddad
Châteauvallon-Liberté, Scène nationale, 795 Chemin de Châteauvallon, 83192 Ollioules Du 12 au 20 novembre 2025. Mer. 12 à 19h30 ; Jeu. 13 à 19h30 ; Sam. 15 à 18h30; Lun. 17 à 19h30 ; Mar. 18 à 19h30; Mer. 19 à 19h30; Jeu. 20 à 18h.
Tournée 2025-2026 en construction.
Information et réservation : https://www.chateauvallon-liberte.fr/evenement/montessori-2/
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu