Le personnage de Don Giovanni rebondit de conquêtes féminines en conquêtes féminines, pathétique oiseau de séduction qui ne se pose que pour reprendre son envol. Son désir naît, croit et meurt pour renaître ailleurs. Liberté ou servitude ? On ne tranchera pas, même si sa réputation en fait un libertin de mœurs et d’esprit. Une chose est sûre, le personnage est un Phoenix. Aussi bien au théâtre avec le Dom Juan de Molière que dans l’opéra de Mozart avec le Don Giovanni de Da Ponte (inspiré du Burlador de Sevilla de Tirso de Molina), de mises en scènes en mises en scènes, il ne cesse d’être tel et de changer sans cesse, toujours autre tout en restant le même ! Dom Juan alias Dom Giovanni est devenu un mythe vivant, celui d’une liberté rebelle qui n’entend pas céder sur son désir, un archétype qui peut recevoir de multiples visages d’époque ou contemporains, incarner plusieurs esthétiques voire éthiques et bien sûr, déclencher des discussions sans fin. L’opéra en deux actes de Wolfgang Amadeus Mozart sur un livret de Lorenzo Da Ponte, créé à Prague en 1787 est qualifié de dramma giocoso ou « drame joyeux ». L’œuvre joue avec brio sur différents registres : comédie, tragédie et même fantastique puisque l’histoire finit par une confrontation du séducteur sans scrupules avec une justice céleste à l’allure pierreuse, la Statue du Commandeur qui engloutit Don Giovanni dans un gouffre ardent.

Aujourd’hui, en pleine ère Metoo comment monter Don Giovanni ? Car le bonhomme peut fort bien passer pour un prédateur sexuel ! Mais ce serait triste de se priver à jamais de la complexité du mythe et bien sûr, de la partition flamboyante du génial Mozart. En un sens, revisiter l’œuvre devient nécessaire car notre époque féministe et laïque ne peut se satisfaire d’une justice divine, complice multiséculaire de l’ordre patriarcal.

Tout cela a dû irriguer le projet de mise en scène de Frédéric Roels, directeur de l’Opéra Grand Avignon. Sa proposition renouvellera certainement notre vision du drame si on en juge par ses intentions. Très judicieux en effet, de voir dans le livret de Da Ponte un grand tumulte, une « grande bousculade » de désirs et de passions, de sentiments et de valeurs, d’actions et de situations. Livret et partition se suivent formidablement bien dans les tourbillons de l’action, dans les fuites permanentes tant physiques que musicales. Don Giovanni bouscule l’ordre moral en place et parallèlement, l’œuvre assume un certain désordre. Elle est un renouvellement fougueux, explosif et intrépide des codes du genre musical, sa partition fait se télescoper les accents joyeux avec ceux dramatiques, les couleurs les plus vives avec les tonalités les plus sombres.

Mais si Don Giovanni est le centre tourbillonnant du drame, pour Frédéric Roels, « Ce sont les femmes qui mènent la danse ». Donna Anna par exemple, crie vengeance pour le meurtre de son père. C’est elle qui fait jurer son fiancé Don Ottavio, arrivé un peu tard, de la venger. La jeune femme tire avantage de la situation funeste pour s’émanciper de la tutelle masculine. « Face à cet agir des femmes, les hommes font pâle figure. » insiste notre directeur d’opéra passionné de mise en scène. Il relève que si Don Giovanni abuse les femmes, c’est lui qui doit fuir sans cesse, se cacher, tricher de plus en plus y compris avec lui-même ! Il se donne des allures fières mais il est assez déboussolé, profondément instable, incapable d’inscrire son désir dans la durée.

« Je voudrais vivre cet opéra comme un chemin, non comme un état. Certes Don Giovanni est de notre époque, qui en douterait ? Certes Don Giovanni est d’ici et maintenant, mais aussi d’hier et de demain, et de là-bas. Je voudrais que la mise en scène fuie comme le personnage principal, qu’elle ne s’impose que par la mobilité et la dynamique qu’elle suscite. Et que jamais les choses ne semblent installées. » nous confie Frédéric Roels.

Une mise en scène engagée et novatrice ! Que fallait-il de plus pour piquer notre curiosité et relancer notre désir d’aller voir et écouter encore et toujours cette œuvre si intemporelle qui aura toujours un temps pour elle.

Jean-Pierre Haddad

L’Orchestre national Avignon Provence sera dirigé par sa cheffe Débora Waldman.

Distribution : Armando Noguera, Gabrielle Philiponet, Lianghua Gong, Mischa Schelomianski, Anaïk Morel, Tomislav Lavoie, Aimery Lefèvre, Eduarda Melo.

Chœur de l’Opéra Grand Avignon. Chanté en italien, surtitré en français

Opéra Grand Avignon, Place de l’Horloge, 84000 Avignon. Vendredi 10 octobre 2025 à 20h00, dimanche 12 octobre 2025 à 15h00 et mardi 14 octobre 2025 à 20h00.

Prologue : 45 minutes avant la représentation, un éclairage sur l’œuvre. Entrée libre sur présentation du billet. Répétition publique : Vendredi 3 octobre 2025 à 20h00. Entrée libre sur réservation .

Retransmission sur écran géant gratuite : vendredi 10 octobre 2025 à 20h15, L’Autre Scène à Vedène et Place Saint-Didier à Avignon. Informations & réservations : https://www.operagrandavignon.fr/don-giovanni

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