
Sommes-nous toujours conscients de l’importance des sons, bruits, timbres et autres choses vibrantes entrant en nous par nos oreilles et allant jusqu’au cerveau pour y produire le fond sonore de nos vies, états d’âmes, agissements ? Pourquoi ne pas en faire une partition non pas d’un opéra mais d’une sorte de tragi-comédie musicale… et muette ? C’est un peu le projet fou de Marc Granier dans Frantz. Pour une première écriture (en 2019) et mise en scène, c’est osé mais très réussi ! Avec une maîtrise étonnante, ce surdoué de la scène (incluant celle lyrique) porte sa fable entre réalisme et onirisme en interprétant le rôle-titre. Il faut dire qu’il est fort bien accompagné par ses condisciples de l’École Internationale Jacques Lecoq, haut-lieu du théâtre physique. Rappelons au passage que l’école est désormais basée à Avignon (depuis 2023).
L’histoire est simple mais attachante. Tel un conte urbain fait d’aventures et de mésaventures, elle résonne dans moult directions de la vie : l’enfance, la perte prématurée d’un être cher, la difficulté à grandir et plus tard à s’insérer dans la « vie active », la perte d’emploi, le deuil, la mémoire et la nécessaire et salutaire résilience. Comment traverser tout cela en restant debout ? Frantz y parvient pour au moins deux raisons. La première, c’est qu’il semble fait en caoutchouc, c’est un homme élastique ! Il a beau être ballotté, chamboulé, projeté aux quatre coins de son histoire tumultueuse et du plateau, il rebondit toujours. Son élasticité le sauve, il est incassable. Cette dimension du personnage s’incarne dans un art du mouvement corporel, du geste expressif et du mime très accompli ! Ensuite, il est soutenu dans ses péripéties par un narrateur, Paul Ménage, qui prend en charge l’essentiel de la parole, laissant Frantz tout à son art flexible de l’affrontement de l’adversité en douceur, il encaisse ou répond tout en amorti. Le jeu est également porté par une bande de bruiteuses et bruiteur dégourdie, agile et pleine de ressources. Œuvrant à partir d’un atelier où tout peut servir d’instrument à bruit, Chloé Louis, Clara Lloret Para et Samy Morri interviennent parfois dans l’histoire, participant aux mimes de Frantz. L’atelier de bruitage en arrière-scène s’avérera être aussi celui du papa de Frantz : là où la narration rejoint la technique de plateau quelque chose de magique s’accomplit.
La grande originalité du spectacle de Marc Granier est que les trois modes d’intervention théâtrale : jeu, narration et bruitage qui pourraient rester séparés dans leur fonction respective se rencontrent tous, se croisent et se combinent par moment, en créant un effet dynamique dans le déroulé de l’histoire, une belle bande d’amis : l’union des talents fait la force du spectacle. Le collectif avec son énergie, transfigure la scène ; l’art dramatique devient acrobate et circassien, lui-même très élastique. On reconnaît-là l’impressionnant travail de corps en mouvement, de dynamique de groupe, d’occupation de l’espace et surtout de narration gestuelle qui fait l’excellence de l’École Lecoq et que la compagnie BPM exprime à la perfection. Un Club des Cinq plein de malice et d’audace.
Au fait, BPM c’est pour « Battement Par Minute ». Du cœur à l’ouvrage et un sacré tempo !
Jean-Pierre Haddad
Avignon Off – La Scala Provence, 3 rue Pourquery de Boisserin, 84000 Avignon. Du 05 au 27 juillet à 10h.
Site de La Scala Provence : https://lascala-provence.fr/programmation/frantz/
Site de la compagnie : https://compagniebpm.com/
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