La mythologie ou les légendes grecques sont bien vivantes culturellement, d’autant qu’elles sont sans cesse revisitées, relues, réinterprétées, adaptées, transposées… Les enfants, les adolescents peuvent même parfois rivaliser dans la connaissance des héros ou de leurs exploits avec un prof de français ou d’histoire. Pourquoi un tel engouement ? Les personnages de toute mythologie et particulièrement celle-ci avec son panthéon de dieux dédiés à chaque aspect de la vie naturelle ou sociale des humains, avec ses héros qui peuplent nos livres, pubs et BD, sont en fait des idées, des archétypes qui font sens dans les invariants de nos existences comme en premier lieu, les passions humaines : amour, haine, rivalité, courage, gloire, vengeance, dépit, colère, espoir, peur et autres ; en second lieu, les comportements basiques comme risquer sa vie pour une cause ou une valeur, désirer connaître, faire la guerre, conquérir le pouvoir ou le conserver, trahir, voyager à l’aventure, faire ses preuves, œuvrer en amour… Freud l’avait bien vu en nommant des déterminants de la psyché humaine, Éros, Thanatos, Œdipe, etc. Alors pourquoi ne pas revisiter L’Iliade et voir Achéens et Troyens, héros du combat devant les murailles de Troyes dans les formes et l’esthétique d’une compétition de football américain ? Casques couvrant nez et mâchoires, protections scapulaires ou dorsales, plastrons, jambières, les termes servant à décrire les armures des uns et l’équipement des autres sont les mêmes. Et les actions, les enjeux ? La Compagnie Thespis n’a pas fait seulement preuve d’audace dans son « adaptation » mais aussi d’intelligence et de subtilité. Pour tout ce qui relève du combat des héros, Achille, Hector, Ajax, Patrocle, de leurs raisons d’agir ou de refuser l’action, les chants d’Homère retenus sont pratiquement respectés à la lettre qui est celle de leurs hexamètres – jouer une finale de coupe grecque en vers de six pieds sans trébucher ! Au contraire, dans les tribunes hautes de l’Olympique hellène, les Dieux-sponsors qui se croient tout permis, se laissent aller à des trivialités de langage. Entre les deux étages, humain et divin, le texte de la pièce composé par Thai-Son Richardier est parfaitement équilibré, le contraste crée une respiration qui même haletante contribue à l’ambiance de la salle qui « marche à fond » ! D’ailleurs l’entrée dans la salle de spectacle est comparable à une installation bruyante et animée dans un stade déjà chaudement ambiancé.

Courage, honneur, dépassement de soi, amour, trahison, solidarité, virilité incarnée à égalité entre filles et garçons. Les enjeux de l’épopée homérique (tiens ! on peut entendre « Amérique »…) sont repris mais sublimés par un jeu engagé, une confrontation brutale mais noble des discours, une expression tendue des passions, un jeu enflammé… Sauf quand nous passons sur l’Olympe, village de la vacance oisive des Dieux, où Zeus n’entend pas se laisser ennuyer par les vicissitudes du genre humain. Là, tout change. « Là, tout est calme, luxe et volupté » dirions-nous ? Disons plutôt, là tout est plage, luxure et volutes. Si ça ne rigole pas dans les vestiaires des deux camps en guerre, là-haut, on se la « cool » douce. On y intrigue aussi beaucoup entre Héra, Athéna, Apollon, Poséidon mais comme on le ferait dans les coulisses d’un Conseil d’administration capital pour la stratégie d’une grosse boîte du genre Olympus and Corporation ! D’ailleurs Hermès, en gestionnaire sérieux, veille ou essaie, car les chiffres n’intéressent que très peu Zeus, le boss. Le basculement entre la poussière de la terre d’Ilion et le sable fin sous les cieux radieux de l’Olympe se fait dans la plus grande simplicité et efficacité ; ce qui prouve que la mise en scène et la scénographie de Thai-Son Richardier et Lysiane Clément relèvent de l’exploit héroïque. Les audaces du projet, le rythme du récit, les alternances nombreuses impliquant moult changements de plateau et bon nombre d’accessoires, le tout sur une scène assez réduite… Bravo ! On sent à l’œuvre, le travail et l’énergie d’une vraie troupe de comédiens et comédiennes au combat, une armée d’art dramatique, une équipe épique ! Citons-les tous : Fanny Couturier, Loïc Bonnet, Lysiane Clément, Jérémy Jeannès, Laurent Secco. Une musique live de Laurent Secco, une création lumière d’Arthur Puech. On retrouve Thai-Son Richardier à la création sonore et Lysiane Clément aux costumes.

Il y a dans cette Iliade à la fois l’excès du baroque ou du style corinthien et la mesure du classicisme ou du dorien. Il y a aussi toute la puissance d’imagination, le désir de jeu (aux deux sens du mot) et l’ivresse créatrice de la seule divinité que Thespis qui se veut « inspirée d’un dieu », peut servir : Dyonisos, l’inventeur du théâtre.

Dionys, donne-nous chaque jour du théâtre ainsi revivifié, un art dynamisé par les anciens et dynamités par la jeunesse !

Et l’issue de cette Guerre de Troyes alors ? On connaît la ruse d’Ulysse mais sur scène, la chute vous surprendra car la troupe a son canasson à elle… Allez-y à pied, en bateau ou à cheval !

Jean-Pierre Haddad     

Festival Off Avignon – La Factory, Salle Tomasi, 4 rue Bertrand 8400 Avignon. Du 4 au 26 juillet à 19h15, relâche les 8, 15 et 22 juillet. Informations : https://www.la-factory.org/liliade/

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