
Linda Chaïb, actrice, se met pour la première fois à l’écriture. Ce besoin impérieux d’écrire sur son père l’a envahie longtemps après sa mort au point qu’elle, la comédienne, dont le métier est les mots des autres, n’arrivait plus à jouer. Elle dit : « D’autres mots me venaient, les miens. Ils débordaient… Plus de place, plus de sens pour les mots des autres. Dans ma bouche, il y avait ces mots : mon père, mon père, mon père ». Son père est de ces nombreux immigrés venus en France dans les années 1960 qui ont été embauchés pour des salaires dérisoires dans des usines où ils occupaient les emplois les plus durs. Son père est mort de l’amiante, sans aucune considération du corps médical.
Avant de jouer son propre rôle, la fille de ce père qu’elle a mis du temps à comprendre, elle est la petite secrétaire invisible passionnée de théâtre et la comédienne qui joue Electre derrière une très grande robe. Mais elle n’arrive plus à dire les mots d’Electre.
L’imposante robe devient burnous de cérémonie kabyle et avec une immense émotion communicative, elle fait revivre son père, cet homme sans cesse humilié et insulté qui ne se révoltait pas et disait à sa fille d’arrêter de poser des questions, de s’indigner, qu’ils avaient été acceptés dans ce pays qui n’était pas le leur. Mais quel est alors leur pays ? Dans la mise en scène dépouillée de Kheireddine Lardjam qui la met en valeur, elle nous subjugue. On partage sa colère, ses révoltes, ses incompréhensions, ses blessures, sa complicité avec ses sœurs et sa mère. Mais on rit aussi quand elle raconte comment ses quatre sœurs et elle sortaient le soir avec la complicité de leur mère à l’insu de leur père.
Son récit fait revivre ce père qui lui est resté étranger si longtemps mais aussi tous ces immigrés qui ont été méprisés et exploités et qui le sont encore trop souvent. L’intime, le personnel rejoignent le collectif, le social et le politique. Cette histoire prend une dimension universelle. Ainsi que le dit Annie Ernaux : « L’intime est encore et toujours du social puisqu’un moi pur où les autres, les lois, l’histoire ne seraient pas présents est inconcevable ».
Linda Chaïb nous offre un très beau spectacle, d’une grande utilité dans un monde où le racisme s’affirme malheureusement de plus en plus ouvertement.
Frédérique Moujart
Festival off Avignon jusqu’au 26 juillet à 17h05 – Relâches les dimanches – Théâtre Artéphile, 7 rue du Bourg Neuf
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