
L’heure est grave sur la planète Terre. Dérèglement climatique et sixième extinction des espèces. Le collapse général pointe déjà le bout de son nez mais tout continue comme avant ou presque, l’humanité va gentiment mais sûrement à la catastrophe anthropocène. Un homme pourtant, tel Don Quichotte, s’est levé pour nous alerter. Il n’entend pas s’asseoir avant que nous nous levions à notre tour… pour quitter le théâtre! Debout à son pupitre et dos à un écran géant, le conférencier armé de son micro-oreillette, tapote de temps en temps sur son ordi ouvert déclenchant ainsi un powerpoint ou plutôt un powerlesspoint tant il est pauvre de contenu ou redondant.
Dans ce rôle d’expert nerveux et burlesque, Frédéric Ferrer, auteur, interprète, metteur en scène, « dramaturge du diaporama numérique » et géographe. Ce vrai-faux personnage et comédien plein de ressources, est bien décidé à nous exposer en 60 minutes « Le problème lapin » qui se pose à une humanité dépassée par des problèmes qu’elle a elle-même créés.
C’est le cas de la prolifération du Lapin de Garenne à la surface de la Terre, y compris en des contrées où il n’existait pas et où il fut introduit par l’humain et où il est désormais en passe de mettre l’humain dehors comme en Australie, voire de le mettre en danger de crash d’avion comme sur les pistes de l’aéroport de Roissy, sans parler des ravages sur la flore nécessaire à son alimentation ! Heureusement, le conférencier courageux et passionné est accompagné d’une assistante, Hélène Schwartz, qui à l’instar de son complice va savamment s’employer non pas à résoudre le problème lapin mais à le complexifier, à le densifier, à le démultiplier, à « l’énormiser ». Le problème lui-même semble faire des petits aussi vite que le Lapin de Garenne ! Normal : avez-vous déjà essayé d’attraper cet animal facétieux qui sait si bien nous narguer avec ses grandes oreilles ?!
Dans Le problème lapin, septième Cartographie de son Atlas de l’Anthropocène, Frédéric Ferrer poursuit sa mise en théâtre de la crise anthropique dont nous ressentons les effets chaque jour entre dérèglement climatique et pollution au plastique pour s’en tenir à ces deux bombes à retardement…
Le lapin est-il dangereux pour le devenir du vivant ? Faut-il l’éradiquer ou le préserver ? On pourrait poser au moins la même première question au sujet de l’humain… qui doit se réformer ! Mais le « problème humain » ne se limite pas à sa prédation universelle devenue destruction générale, l’humain a un problème avec lui-même : individuellement, il ne sait pas trop ce qu’il fait et collectivement, il communique mal. D’ailleurs entre le conférencier et l’assistante, tout va aller en se déréglant… Alors que lui est stressé par le temps et veut aller vite, elle est lente et aime les parenthèses. Les deux intervenants deviennent des rivaux se disputant le territoire de la conférence, les arguments, les digressions, les prises de paroles, les pupitres. Le plateau ordonné au début devient un chantier, un ring voire un bazar lapin ! Le conférencier serait-il une espace invasive, un parasite planétaire et intraspécifique ? Le lapin miroir…
C’est drôle et intelligent, d’autant plus drôle que c’est intelligent et d’autant plus intelligent que c’est drôle ! Tout est vrai et tout est jeu théâtral, entre science et humour, le public apprend en rigolant et inversement. On prend conscience de la gravité des choses tout en pensant à la chanson : « Faut rigoler, faut rigoler, avant que le ciel nous tombe sur la tête ! » En parlant de chute (vous comprendrez en y allant), il faut citer Margaux Folléa pour les accessoires et la scénographie et Paco Galan pour la régie générale et la construction, leur travail étant plus que jamais indispensable à un tel spectacle si « technique et matériel ».
Contre le lapin, les humains ont tout essayer… en vain ! N’est-il pas temps pour eux d’arrêter leurs conneries, de s’interdire la course à la possession et à l’exploitation généralisée, de se retenir de dévaster la planète comme on scie une branche sur laquelle on est assis et, bien sûr, d’éradiquer le capitalisme invasif ? En attendant, on peut au moins aller voir cette farce savante !
Jean-Pierre Haddad
Avignon Off – Théâtre des Halles, salle du Chapitre, 22 rue du Roi René, 84000 Avignon. Du 5 juillet au 26 juillet 2025, du lundi au dimanche à 14h – Relâches les mercredis 9, 16, 23 juillet.
Informations et réservations : https://www.theatredeshalles.com/pieces/le-probleme-lapin/
En tournée : 18 novembre 2025 Quai des Arts, Pornichet (44) 25 novembre 2025 L’Odyssée, Orvault (44) 26 novembre 2025 THV Saint-Barthélemy-d’Anjou (49) 27 novembre 2025 Théâtre de Laval, Centre National de la Marionnette, Laval (53) 6 janvier 2026 Salle Jacques Brel, Montigny-Le-Bretonneux (78) 19 février 2026 Théâtre Armande Béjart, Maisons Laffitte (78)
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