« L’Écriture ou la vie »

Après avoir présenté en 2023 au Festival OFF d’Avignon la première version de leur projet autour de L’Écriture ou la Vie de Jorge Semprun, Hiam Abbas et Jean-Baptiste Sastre ont eu la très belle idée de le reprendre mais en faisant jouer quinze jeunes Allemands et quinze jeunes Français. Ils ont choisi des jeunes issus de Bourges, de Clichy-sous-Bois, de Weimar et de Berlin d’horizons très différents et aux parcours de vie variés en faisant appel à des missions locales, à des associations d’insertion. Il s’agit pour Hiam Abbas et Jean-Baptiste Sastre de leur transmettre charnellement le passé, de les doter d’un sens de l’histoire, d’une responsabilité collective pour l’avenir tout en leur donnant les outils pour réfléchir sur leur époque. Pendant un an, les jeunes ont pris en charge des parties entières du projet (mise en scène, dessins pour la scénographie, interprétation, organisation) pour aboutir à une première représentation à Buchenwald le 6 avril à l’occasion du 80ème anniversaire de la libération du camp le 6 avril 1945.

Une très belle première image pour symboliser la déshumanisation des victimes des camps : des ombres apparaissent derrière de fins rideaux. On pense à Si c’est un homme de Primo Levi. C’est d’ailleurs le suicide de Primo Levi le 11 avril 1987 qui a incité Jorge Semprun à sortir du silence dans lequel il s’était réfugié pour survivre et « oublier » le camp dans lequel il avait été interné en janvier 1944. Il écrit alors L’Écriture ou la vie publié en 1994 où il raconte sa vie dans le camp de Buchenwald. Les rideaux s’ouvrent et les comédiens surgissent en courant sur le plateau. Vont alterner scènes de groupe et scènes où certains comédiens disent des passages choisis très judicieusement par Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbas de l’œuvre de Semprun. Le français alterne avec l’allemand et les comédiens amateurs disent les textes avec une très grande conviction chargée d’émotion qu’ils nous font partager quelle que soit la langue d’origine. Dans le contexte anxiogène actuel, elles et ils se font les passeur.euse.s des heures les plus sombres de l’histoire pour que l’avenir ne s’écrive pas en brun. Les chants magnifiquement interprétés s’élèvent telle une mélopée.

Une très belle idée de spectacle qui a beaucoup apporté à ces jeunes pour la plupart éloignés de la culture et qui émeut et nous incite à rester vigilants.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 22 juin, du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 17h et le dimanche à 16h- Théâtre du Soleil, Cartoucherie, 2 route du Champ de Manoeuvre, Paris 12ème – Réservations : 01 43 74 88 50 – Tournée : Maison d’Izieu: 2 & 3 novembre 2025 – Le Liberté, scène nationale – Toulon : du 5 au 8 novembre 2025 – Maison de la Culture de Bourges : 9 & 10 février 2026 – Le Cratère – Scène nationale d’Ales: 5 & 6 mai 2026 – Mucem – Marseille : printemps 2026