
La littérature, la poésie peuvent elles mieux faire ressentir la perte d’humanité imposée par les nazis à toutes les populations juives d’Europe ? Jiří Weil (1900-1959) a vécu à Prague cette période de déportation, de peurs, d’angoisses, de profonde solitude, d’un temps aussi de solidarité. « Vivre avec une étoile est une description quasi clinique d’un homme pourchassé, nié en tant qu’homme qui ne peut que faire preuve d’obéissance servile pour éviter le départ dans un convoi qui ne mène qu’à la mort. Son sort dépend en partie des instances de la Communauté (juive mais l’adjectif n’est pas employé) qui lui trouve un travail, dans un cimetière, tout en dressant des listes de ceux celles qui doivent partir, avec leurs trésors, sans épargner les femmes et les enfants. Enfermé dans sa terreur, il se blottit dans sa mansarde, quasi à ciel ouvert, souffrant de la faim, attendant l’inéluctable. D’être humain, il en est devenu un fantôme. Il devra à une erreur de cette administration tatillonne de ne pas partir avec les autres porteurs du même nom que lui, liste dressée par les responsables de la Communauté.
A la fin des années cinquante, juste avant de quitter cette terre de misère et de grandes joies, Jiří Weil publiera, malgré les embûches des autorités, « Mendelssohn est sur le toit », plus grinçant, plus ironique sur les SS et autres gestapistes comme sur les « collaborateurs juifs trahissant leur communauté pour être à leur tour déportés dans les camps, les nazis ne voulant pas de témoins. Le point de départ se trouve sur le toit du théâtre de Prague où trône, aux côtés des autres grands compositeurs pragois, la statue de Félix Mendelssohn. Heydrich, chef suprême nazi de Prague, découvre, horrifié, la présence de ce Juif – converti – dans cette ville aux racines allemandes, pense-t-il. Il donne l’ordre de déboulonner la statue à des sous fifres qui ne connaissent même pas la figure de Bartoldi, l’autre nom du compositeur. Petite histoire drôle – mais pas pour tout le monde – qui lui permet de décrire les rouages de cette bureaucratie. Il se sert de faits historiques : Heydrich est chargé de construire la solution finale au moment où il est assassiné par deux résistants. S’ensuit une répression sauvage qui touche forcément les Juifs du ghetto.
Le rôle des instances de la Communauté juive, collaborateurs qui voudraient sauver leur peau, est plus explicite. La description du système est presque l’objet du récit, en même temps que la solidarité, source de tous les courages. C’est la seule lumière qui perce, vacillante quelquefois, illuminant les drames qui se nouent, en particulier de ces deux sœurs cachées par une famille, avec l’aide d’un résistant.
Des « fictions réelles » qui parlent encore de notre monde. La barbarie ne semble pas avoir de fin. Aussi un grand écrivain qu’il est nécessaire de découvrir. Philip Roth, dans la préface de « Vivre avec une étoile » explique son admiration pour l’auteur. Qu’il qualifie de plus grand romancier de la Shoah. Les éclats de poésie qui viennent magnifier la condition d’être apeuré démontre la multiplicité des facettes de son univers. La référence à Kafka est évidente dans sa manière de raconter mêlant le drolatique, le sublime, l’angoisse, le courage, la fraternité et la solitude, la bureaucratie imbécile et la porte qui ,s’ouvre sur d’autres possibilités d’avenir.
Nicolas Béniès
« Vivre avec une étoile », Jiří Weil, traduit par Xavier Galmiche, Préface de Philip Roth ; « Mendelssohn est sur le toit », Jiří Weil, traduit et présenté par Erika Abrams ; 10/18
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