
Un homme et une femme se caressent et s’enlacent voluptueusement. Elle est belle, sensuelle, il lui dit qu’il s’appelle Lucifer ou Belzébuth. Elle rêve qu’il l’emmène à Londres, il la traite de putain, de sorcière. Elle est la première d’une série de femmes qui seront traitées de sorcière dans ce village anglais en cette période de la Renaissance. Il y a aussi sa mère qui ne paie pas son loyer régulièrement, la jeune fille qui refuse de se marier et, désobéissant aux ordres de sa famille, s’enfuit de sa cage dorée chaque fois qu’elle en a l’occasion, la guérisseuse qui soigne au moyen des simples dont elle a le secret et est aussi faiseuse d’anges pour les femmes accablées par leurs grossesses à répétition. Et puis un jour il y a l’Inquisiteur. En trouvant par la torture leur point bien caché d’insensibilité, il se fait fort de débusquer les sorcières, celles qui font le bien comme celles qui « font le mal », des guérisseuses, des pécheresses rebelles ou des paysannes naïves. Dans sa « mission » il peut compter sur ces villageois bien-pensants qui croient que tous les malheurs qui surviennent sont le fait des sorcières. Et la mort attend celles qui avouent comme celles qui résistent.
Anaëlle Queuille s’est emparée de ce texte écrit en 1976 par la dramaturge Caryl Churchill, fer de lance du théâtre féministe britannique et des causes sociales et politiques. Elle l’a aussi mis en scène. Le petit plateau du Lavoir Moderne parisien devient, grâce aux éclairages de Matthieu Baquey et à la scénographie de Clémentine Stab, un village de la campagne anglaise de la fin du XVIème siècle. Régulièrement la narration laisse place à la musique (Ariane Issartel et Fiona Levy) et au chant où les voix se mêlent ou se succèdent pour tisser un lien entre l’Histoire et le présent. Elles et il chantent « on frappe à la porte, ils viennent te chercher, si tu nies tu es mauvaise, si tu avoues, tu es folle ». On n’accuse plus aujourd’hui les femmes de sorcellerie mais la violence masculine est toujours là et celles qui sont jugées trop libres ou se rebellent contre le patriarcat sont encore souvent ostracisées.
Par la stylisation des mouvements, dans la volupté comme dans les violences, Anaëlle Queuille a su éviter le réalisme trop plat et laisser de la place à l’imagination du spectateur. Une fumée légère s’élève derrière la guérisseuse, évoquant les flammes où périrent tant de femmes accusées de sorcellerie à cette époque et l’assistant de l’Inquisiteur pique avec violence des robes de femmes pour trouver leur « point d’insensibilité ». La metteuse en scène a rassemblé une jeune troupe (les actrices Alice Kudlak, Blandine Rottier, Ludivine Anberrée, Fiona Lévy, Lucie Ouchet, Raphaëlle Saudinos, et Ariane Issartel et l’acteur Hugo Plassard) très homogène et aussi convaincante dans le texte que dans le chant et la danse.
Un spectacle vivant qui en tissant des liens entre le passé et le présent et en alternant texte et musique nous rappelle que le combat des femmes est encore d’actualité.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 1er juin au Lavoir Moderne Parisien, 35 rue Léon, 75018 Paris – du mercredi au samedi à 21h, dimanche à 17h – Réservations : www.lavoirmoderneparisien – Tournée en construction
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