
A la veille de la Révolution, la Reine Marie-Antoinette fait admirer à son amie, la princesse de Lamballe, sa nouvelle cuisine installée par le Roi et ses copains. Entre deux propos avec le Comte d’Artois sur les petits problèmes domestiques, le souci des enfants et du travail, elle reçoit la visite de leurs voisins, un couple de motards, Déborah et Fred. Le Roi et son frère font des ronds de jambe très grand siècle, le valet Alexandre est très distingué et joue de la viole de gambe, Marie-Antoinette et la Princesse de Lamballe ont la faconde et l’accent du Midi et n’hésitent pas à chanter. Fred développe un discours sur les gens qui ne veulent plus travailler et vante l’Afrique du Sud où on savait les faire travailler. Les conversations avancent mais des silences s’installent parfois et le Roi, rejoint par les autres, jette de temps à autre un regard alarmé vers la salle. Sent-il venir sa mort, ou celle de notre monde sous l’effet du réchauffement climatique ?
C’est à la veille du confinement en 2020, à un moment où elle pressentait le chaos à venir, que Nicole Genovese a écrit ce petit bijou, bourré d’un humour tout aussi surréaliste qu’inquiet. On y passe du coq à l’âne, de la mort qui guette le Roi à la veille de la Révolution à celle qui guette la planète au début du XXIème siècle. Finement écrites, ces conversations autour d’une tasse de thé, florilège de lieux communs et d’idées reçues sur les soucis causés par les enfants, sur les dernières mesures gouvernementales, la situation de l’hôpital, les cakes aux olives de chez Picard, la différence entre les femmes admirées comme des déesses et celles que l’on épouse, le bio, etc, se moquent des anachronismes et c’est tout à fait réjouissant.
Ce petit joyau d’absurde avait besoin de l’écrin du théâtre pour être représenté, et c’est face à des tréteaux que nous installe le metteur en scène, Claude Vanessa qui d’ailleurs n’est autre que Nicole Genovese elle-même ! Devant des toiles peintes, que le domestique fait tomber une à une, révélant la fameuse cuisine, un salon ou un pré pour le pique-nique, sont posées les royales personnes nommées, comme des gens ordinaires, Marie, Thibault, Alex, Véro, etc… D’ailleurs elles ne sont ni hautaines, ni cyniques, elles semblent juste inconscientes des enjeux. Toutefois les silences qui s’installent dans les conversations et les regards alarmés qu’elles jettent parfois vers la salle, font glisser les spectateurs de l’hilarité à une sourde inquiétude.
Les acteurs, Robert Bogdan Hatisi, en Roi que gagne parfois l’inquiétude, Sébastien Chassagne en Comte d’Artois un peu hautin, Solal Bouloudnine (en alternance avec Raouf Raïs) en amateur de moto beauf et raciste, Nicole Genovese, en Deborah, son épouse sont tous formidables. Ce théâtre ne serait pas complet sans la musique pseudo-baroque, à la Marin Marais, écrite par Francisco Mañalich à la fois joueur de viole de gambe et valet narquois. Deux excellentes actrices, par ailleurs très bonnes chanteuses, la prennent en charge, Angélique Zaini en Princesse de Lamballe et surtout Nabila Mekkid, une Marie-Antoinette qui n’hésite pas à se lancer dans une chanson d’Amel Bent !
Nicole Genovese nous fait perdre nos repères, nous baladant dans les époques, d’une menace à une autre. C’est original, incongru, inclassable, hilarant et poétique à la fois. Un plaisir de théâtre !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 25 mai au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris – du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h – Réservations : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr
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