
Certains redoutaient peut-être le traitement de réécriture que Louise Vignaud se proposait de faire subir à Zaïde, cet opéra de jeunesse de Mozart resté inachevé et incomplet : partition sans ouverture ni final et livret réduit à sa partie lyrique du fait de la disparition des récitatifs. Ils seront déçus car on ne peut être qu’agréablement surpris si l’on est un tant soit peu ouvert à ce qui fait évènement.
Nous sommes dans un orient de convention et Zaïde est une esclave chrétienne du sultan Soliman qui en est amoureux. La jeune femme aime un autre esclave avec lequel elle s’enfuit avec l’aide d’Allazim, serviteur du sultan. Les trois fuyards sont repris et risquent la mort. Mais Allazim a jadis sauvé la vie du sultan qui le gracie. Que vont devenir Zaïde et son amoureux Gomatz ? On ne le saura jamais puisque le livret de Johann Andreas Schachtner (inspiré par la tragédie Zaïre de Voltaire) est resté inachevé. Dans L’enlèvement au sérail, plus tardif, tout se finit bien… Une chose est sûre, entre le christianisme et le mahométisme Wolfang a déjà choisi : pour lui c’est l’émancipation et les valeurs de la Franc-maçonnerie ! C’est aussi le choix que la metteuse en scène a fait dans son travail de réécriture coréalisé avec la dramaturge Alison Cosson, si habile dans l’écriture caméléon.
Nous sommes dans une nouvelle ère féministe (après celle du MLF des années 70), il est donc pertinent de magnifier le personnage féminin de Zaïde et, pourquoi pas, de le faire triompher des personnages masculins qui la convoitent ou croient la protéger et ne font que la réduire à un statut d’objet en étouffant son désir de liberté – deux fâcheuses manies virilistes. L’opéra de Mozart serait-il masculiniste ? En tous cas, très masculin : une seule femme au milieu de trois hommes. Une deuxième femme vient s’ajouter dans la version Vignaud et Cosson, mais hors champ et hors chant, Inzel est une récitante nécessaire à l’adaptation du livret. Elle est aussi « l’Esprit de l’île qui recueille les enfants [les jeunes amoureux], les met à l’épreuve de Gomatz et leur offre la possibilité de grandir. Esprit qui accueille également le public, en ouvrant la représentation. » nous dit Louise Vignaud. En effet, nous ne sommes plus dans le sultanat imaginaire de Soliman mais sur une île sur laquelle échoue après un naufrage, Gomatz dont Zaïde va s’éprendre. La situation insulaire est très ambivalente. De Thomas More à Alexandre Dumas en passant par Daniel Defoe ou Michel Tournier, une île peut être le lieu d’une utopie comme celui d’un enfermement, géographie de l’isolement et d’une expérience survivaliste ou espace enchanté d’une métamorphose…
Les autrices trouvent la bonne issue à cette histoire laissée inachevée : si l’émancipation féminine étaient à peine esquissée à l’époque de Mozart et encore largement inachevée à la nôtre, Zaïde trouve pour sa part, une alternative à l’injonction qui lui est faite de choisir entre Gomatz, le naufragé et Soliman, l’autocrate : les renvoyer dos à dos avec Allizim et partir en sens inverse ! Rompant la clôture de l’île et celle du « ils », Zaïde déploie ses ailes à elle. Une apocalypse étymologique sur fond d’éclipse! Le plateau est de bout en bout lunaire. La palette chromatique qui mêle des gris et des ocres fait régner une lumière incertaine sur cette une île rocailleuse, un décor de fin d’un monde… Cette adaptation est une vraie réinvention de l’œuvre tout en la servant admirablement. Une judicieuse modernisation combinant finesse et force. Sur le plan musical, comment imaginer pouvoir ajouter quoi que ce soit au génie précoce d’un Mozart de vingt-quatre ans ? Disons-le tout net, le travail de composition et d’orchestration de Robin Melchior est remarquable ! Son ouverture et son final ne cherchent bien sûr pas à « faire du Mozart » cela aurait été forcément déplacé, raté et surtout stupide. C’est plutôt du côté d’une certaine modernité musicale que le compositeur est allé chercher son inspiration, entre Prokofiev ou Stravinsky et Gershwin. La réussite tient à ce que sa partition tranche avec celle de Mozart mais sans brutalité, dans un accord qui préserve son secret, indicible mais audible.
Aurélie Jarjaye la soprano originaire d’Orange est parfaite dans ce rôle donnant une nouvelle voix à une Zaïde qui ne s’en laisse pas conter ou chanter. Le ténor états-unien Mark van Arsdale transformé en une sorte de géant farouche en bermuda et rangers, figure un Soliman décalé mais bien représentatif de la force brutale du mâle dominant, jouant de toute la puissance de son registre vocal. Kaëlig Boché et Andres Cascante portent brillamment les voix d’Allazim et de Gomatz, Charlotte Fermand tenant le rôle d’Inzel, la narratrice. Dans la fosse, l’Orchestre national Avignon-Provence dirigé par Nicolas Simon en format allégé. Une coproduction de l’Opéra de Rennes, l’Opéra Grand Avignon et l’Angers-Nantes Opéra.
L’ultime mérite de cette aventure est de nous donner à découvrir et apprécier une œuvre oubliée qui en annonçait de si célèbres !
Jean-Pierre Haddad
Opéra Grand Avignon, Place de l’Horloge, 84000 Avignon. Vendredi 25 avril 2025 à 20h00 ; Dimanche 27 avril 2025 à 14h30. Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/zaide-mozart
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