Cette farce tragi-comique est la pièce des commencements, la matrice de l’œuvre de celui qui est peut-être le plus grand dramaturge actuel Wajdi Mouawad. Né au Liban, qu’il a quitté à dix ans, en raison de la guerre civile, il l’écrit alors qu’il n’a que 23 ans, en 1991, au Canada où il est réfugié, et il la monte pour la première fois cette année.

On est dans le huis-clos de la maison d’une famille libanaise qui s’affaire aux préparatifs de la noce de la fille Nelly. Le bruit des tirs et des bombes est régulier. Plutôt l’orage dit la mère mais le fils reconnaît le calibre des canons, marche à quatre pattes devant les fenêtres pour éviter les tirs et l’électricité saute régulièrement. Dans cette famille, méditerranéenne à outrance, on crie beaucoup, on court partout, on jure, on s’insulte, mais on s’aime. La mère, bigoudis sur la tête, s’absorbe avec une agitation très inefficace dans le repas à préparer ou lit, dans le marc de café, un avenir radieux pour la voisine venue aider. Le père s’occupe du mouton qu’il faut tuer car la boucherie vient d’être bombardée et, en plus, on risque fort de le manger cru compte-tenu des incessantes coupures de courant ! Tous ont une stratégie pour échapper au présent. On fait comme s’il n’y avait pas la guerre, qu’on allait faire un vrai repas de noces pour la fille, alors qu’on soupçonne que le fiancé n’existe pas. La fille souffre de narcolepsie, « un don de Dieu pour un pays en guerre », en se plaçant dans la vie d’avant, qu’elle fait renaître avec la même question sans cesse reposée. Le fils espère le retour de son jumeau disparu, probablement victime du conflit, aide plus ou moins maladroitement aux préparatifs de la noce et se réfugie auprès de sa radio. Et puis, à l’autre bout du monde, dans un paysage de neige, il y a Jean, réfugié au Canada, hanté par un fort sentiment de culpabilité, qui écrit une pièce de théâtre, cherche les mots  (« comment dit-on faire l’amour en libanais ? ») et, comme le lui a dit son professeur, sait qu’il ne doit rien oublier et qu’il écrit cette pièce pour la jouer un jour au Liban.

La mise en scène de Wajdi Mouawad nous entraîne entre rire et effroi à un rythme d’enfer dans cette histoire. La noce se prépare dans un espace presque fermé n’étaient deux ouvertures, d’où on sent que des tirs peuvent venir, et une porte par où arrivent la voisine ou l’invité surprise de la fin. La voisine apparaît, disparaissant derrière une montagne de marmites pleines de nourriture préparée par les voisins, ou apportant un chandelier pour pallier les coupures de courant en faisant remarquer que c’est très chic, comme en Europe ! Un voile descend, la neige se met à tomber en épais flocon, le bruit du vent remplace celui des tirs, une déneigeuse passe, on entend un tube de Starmania et la fenêtre de Jean avec sa machine à écrire s’éclaire. On pourra ainsi délicatement passer du Liban au Canada. « La neige c’est comme la guerre, on s’y habitue » dit Jean.

On passe du burlesque au tragique avec ce souvenir terrible qui revient, celui d’un bus en feu avec un enfant tentant de s’échapper et tué à bout portant par un milicien. La poésie s’insinue avec une pluie de roses pour accompagner les mariés, comme un moyen d’oublier pour un temps la guerre. La pièce écrite en français a été traduite en libanais pour être jouée par une équipe libanaise et on se dit qu’il n’aurait pas pu en être autrement. Les comédiens, jouant en libanais surtitré en français, excellent en personnages que les circonstances conduisent au bord de la crise de nerfs. Tous sont excellents particulièrement Aly Harkous dans le rôle de Neel le fils et Aïda Sabra dans celui de la mère. Partagés entre sens du tragique et humour, ils crient leur joie, leur rage et leur désespoir.

C’est avec un spectacle original, puissant, drôle et tragique à la fois, que Wajdi Mouawad signe la fin de sa direction du Théâtre de la Colline.On rit, on pleure, c’est magnifique !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 22 juin au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris – du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30 – Réservations : 01 44 62 52 52 ou billetterie.colline.fr

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