Jawad et Belka sont raseteurs. Non, ils ne font pas des coupes de cheveux très rases. Ils ne sont pas d’habiles manipulateurs de tondeuses électriques mais des sportifs pratiquant la Course camarguaise. Le phénomène est tellement circonscrit à une petite partie de la Provence, entre Nîmes et Arles, que nombre de français doivent en ignorer l’existence ou s’étonneraient que les courses de taureau, « ça existe encore ? ». Mais attention ! Contrairement aux Corridas on ne violente pas l’animal, on « joue » avec lui afin d’en montrer la puissance, la force, la combativité. Le raseteur est ce jeune homme qui tout de blanc vêtu court autour du taureau pour tenter de retirer une cocarde ou un ruban accrochés au frontal de la bête. Le jeune taureau, excité par le jeu, n’hésite pas à foncer sur le raseteur toutes cornes devant ! Alors que le taureau camarguais est glorifié par ces courses, qu’on lui dresse des statues sur les places des villes et villages, le raseteur risque sa vie ou son intégrité physique pour une gloire bien moindre et quelques revenus saisonniers entre avril et octobre. Chaque raseteur porte son nom inscrit au dos de son t-shirt un peu à la façon des joueurs de foot mais avec moins de célébrité et de sponsoring.

Jawad et Belka… « c’est pas des noms de chez nous ? » s’interrogerait un français atteint comme trop d’autres du syndrome identitaire de francité, maladie endémique quoique imaginaire ! Point de « francité de souche », les Gaulois étaient celtes et l’aristocratie française d’Ancien Régime était franque, donc germanique. Jawad et Belka pour Belkacem, sont de chez nous car ils sont chez eux ! Nés en France, dans une Camargue un peu oubliée, un peu reléguée dans un coin de sud où il existe des populations parfaitement françaises de maghrébins, d’espagnols, de gitans, de manouches, d’italiens et autres. Richesse d’un peuplement venu d’ailleurs mais bien d’ici. Mais peut-être que des gens du pays d’Oïl au nord, ne voient pas les gens du pays d’Oc au sud de la Loire, comme des compatriotes ou l’inverse ! Pourtant la Révolution française et la République font de tous une grande nation volontaire et fraternelle…

Pour les deux raseteurs, l’engagement total dans la course camarguaise est une passion du risque mêlée à celle de la culture locale qu’ils défendent ardemment : la Camargue et son côté sauvage, les campagnes arlésiennes ou nîmoises, le soleil de plomb, les taureaux en semi-liberté, les chevaux, les fêtes locales, les tablées animées, les bandas de village. Mais derrière le folklore, il y a la volonté farouche et paradoxale de s’intégrer à leur propre société ! Quand l’école a manqué son but en Camargue, l’ascenseur social n’est pas le foot mais les taureaux. Jawad et Belka sont donc devenus des compétiteurs parfois récompensés, car ce sport a une ligue, des classements et une Fédération Française de la Course Camarguaise agréée par le Ministère de la Jeunesse et des Sports en 1975. Que ne faut-il faire pour être reconnu comme français quand on l’est déjà mais d’origine étrangère ! Risquer sa vie en attrapant à l’esquive une cocarde sur la tête d’un jeune bœuf appelé « taureau » car on accorde plus de dignité à la bête qu’à l’homme. Dirons-nous que Jawad et Belka prennent le taureau par les cornes ? Dans l’arène, il ne vaut mieux pas, mais dans la vie, oui. En plus de leur boulot, ils n’hésitent pas à descendre dans l’arène de l’intégration et de la reconnaissance sociale.

Oui, il y a quelque chose de provocateur dans le titre de ce film de Jérémie Battaglia dont le nom d’origine italienne, signifie « bataille ». Cette jeunesse est autre, musulmane et d’origine maghrébine mais la provocation tient à la vérité : elle est bel et bien française cette jeunesse dont est issue la moitié des raseteurs ; française de naissance, de papiers et même de culture mais dans le mélange, comme un Breton athée ou un Chti protestant ! Et pourtant, Jawad Bakloul et Belkacem Benhammou ne manquent pas d’entendre encore des remarques racistes dans les tribunes ou les coulisses, alors qu’ils contribuent à faire perdurer une culture de terroir qui a bien besoin d’un second souffle ! Quand cessera-t-on au « Pays des Droits de l’Homme » de nourrir la haine de l’étranger ? N’y a-t-il pas mieux à faire ? La démocratie, le changement climatique, le souci des sans-abris ou sans repas, la justice sociale, le partage, l’entraide réclament davantage nos énergies et nos intelligences. Quand prendrons-nous par les cornes le taureau de la xénophobie ?

Sans chercher la bataille, le film de Battaglia est engagé. Il montre la volonté, la dignité et le désir de reconnaissance d’une certaine jeunesse française comme son film Parfaites (2016) le faisait à propos des filles de l’équipe de nage artistique du Québec. Et oui, le cinéaste est franco-canadien originaire d’Aix-en-Provence. Vive notre diversité ! Une jeunesse française, explore un univers d’efforts, de résilience et d’émancipation. Il le fait dans la lumière éblouissante de la Camargue et dans la nuit du regard taurin ; l’art de donner à une triste réalité sociale une dimension solaire.

Jean-Pierre Haddad

Une jeunesse française de Jérémie Battaglia – 1h24mn. Sortie nationale le 7 mai 2025


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