
Le théâtre de Maeterlinck, avec son symbolisme empli de ténèbres inquiètes hantées par la mort, n’est pas toujours d’un accès facile. Tommy Milliot, metteur en scène, scénographe et par ailleurs directeur du CDN de Besançon s’empare brillamment des deux premières pièces appartenant à la trilogie de la mort que le poète belge avait écrites en 1890.
Dans L’intruse, la première de ces courtes pièces que le directeur de la Comédie Française Eric Ruf compare à des « haïkus d’une rare densité », une famille est réunie dans une salle à manger. Une jeune femme fraîchement accouchée repose dans une chambre voisine, son bébé dans une autre, un nourrisson étrange qui ne pleure pas depuis sa naissance. On attend la sœur du père, une nonne. Le père de la jeune femme, l’aïeul aveugle, pressent la mort prochaine tandis que l’oncle et le père refusent d’y croire. Il perçoit tous les bruits, quelqu’un rôde. Le jardinier, la servante, l’Intruse ? Dans la seconde un groupe d’aveugles, six hommes et six femmes se retrouvent abandonnés, loin de l’hospice qui les abrite, par le prêtre qui les guidaient. Certains ont toujours été aveugles, d’autres ont des souvenirs vagues et lointains. Ils sont seuls, sans recours. Où sont-ils ? Ils ne le savent pas, certains parlent d’une forêt dans une île. C’est probablement la nuit. Ils n’osent pas bouger, se rapprocher, ils se raccrochent aux bruits et attendent.
« Ces pièces sont des paraboles de l’existence humaine. L’humain est un aveugle face au destin » dit Tommy Milliot. Elles sont construites autour de l’attente, de l’inquiétude. La mort rôde. La religion ne joue pas son rôle secourable. Dans la première pièce la nonne que l’on attend n’arrive jamais. Dans la seconde le prêtre a disparu et les hommes restent seuls face à l’immense interrogation qu’est leur existence.
Les deux pièces se succèdent, entrecoupées d’un court entracte, comme deux tableaux au sein d’une même boîte en bois, une salle à manger pour la première avec des portes donnant sur des pièces où doivent se passer des choses que l’on ne voit pas, un vaste espace avec des marches et quelques colonnes pour la seconde, où le spectateur, à la différence des aveugles, voit tout. Le travail sur la lumière (Nicolas Marie) est magnifique, un clair-obscur caravagesque éclaire légèrement les personnages, les laissant suffisamment dans l’ombre pour que l’inquiétude gagne le spectateur. Le travail sur le son (Vanessa Court) l’est tout autant. Le tic-tac entêtant de l’horloge, le chant d’un oiseau, une cloche lointaine, le bruit de vagues et du vent se mêlent à une musique électronique plus étouffée contribuant à faire monter une sourde inquiétude.
Les comédiens du Français s’emparent avec leur talent habituel de cette prose dépouillée, envoûtante qui ressemble à un chant funèbre. Dans L’Intruse, Bakary Sangaré incarne magnifiquement l’angoisse de cet aïeul qui pressent la mort et que tous laissent seul à la fin. Claïna Clavaron fait sentir toute l’empathie et aussi la peur de sa petite-fille. Dans Les Aveugles les comédiens fonctionnent comme un chœur et lorsqu’à la fin alors que le noir gagne, on les voit figés, bouche ouverte comme dans un cri d’épouvante, la salle se fige quelques secondes dans le silence, avant que n’éclatent les applaudissements. C’est magnifique.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 2 mars au Vieux Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris – les mardis à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, les dimanches à 15h – Réservations : comedie-francaise.fr
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