
Adolescence : du latin “adulescens”, qui signifie “celui qui est en train de croître”. Le conte de Hans Christian Andersen peut être lu, depuis les travaux de Bruno Bettelheim, comme un récit psychanalytique inconscient ou sublimé (exprimant un complexe converti en œuvre d’art). Une personne en train de grandir est un être inachevé et surtout désirant une identité, un destin à soi. C’est le cas de la petite sirène et son désir est celui de l’Autre, puisque c’est la pulsion invoquante qui définit de façon lacanienne une sirène dont le propre est d’envoûter les marins par la voix. Cette sirène étant tombée amoureuse du prince qu’elle a sauvé d’un naufrage, désire devenir une humaine, changer de genre pour accéder à l’objet du désir. Mais ce désir est aussi bien celui de l’impossible. Non seulement parce que le prince est destiné par sa condition à épouser une princesse mais surtout parce qu’en obtenant de la sorcière des mers des jambes et le sexe d’une femme, elle y a perdu sa voix et donc à la fois son charme et la possibilité de révéler au prince que c’est bien elle qui l’a sauvé et non celle qu’il a vu à son réveil.
Que l’adolescence soit tentée par le désir de l’impossible, changement d’histoire, d’identité, de parents, de nom, de genre, etc. n’est pas une chose étrange mais plutôt banale. Mais comment mesurer du haut de seulement quinze ou seize années de vie et d’expérience, la pertinence d’un tel projet et ses conséquences sur le long terme ? Le choix sera-t-il validé par l’avenir ? D’autant qu’aujourd‘hui à la différence de l’époque d’Andersen dont on dit qu’il fut un homosexuel refoulé (réprimé par la norme sociale), tous ces changements, toutes ces affirmations minoritaires sont possibles, tolérées, voire « à la mode ».
C’est à ce point précis de ce qu’on pourrait appeler « la problématique de la petite sirène » que la mise en scène de Bérénice Collet intervient avec créativité, subtilité et intelligence. Pour éviter tant le tragique que le fatum, la metteuse en scène fait le choix judicieux de raconter l’histoire comme le rêve d’une adolescente contemporaine. Le rêve de la sirène devient donc un chemin initiatique intérieur au terme duquel le réveil permettra d’échapper à la déraison du choix de l‘impossible ou de l‘irréversible.
Ne vaut-il pas mieux s’accepter tel qu’on est et placer l’enjeu de l’existence dans l’action créatrice et émancipatrice plutôt que dans une identité quelconque qui fige le désir en croyant l’ouvrir ?
La scène sera partagée comme l’espace mental qui sépare le rêve de la perception de la réalité : « Comme enfermée dans un écrin aux mille détails, une boîte à musique, ou simplement une chambre d’adolescente, notre Sirène se tiendra dans un espace circonscrit sur scène et chargé de surprises, comme les éléments d’un rêve qui apparaîtraient soudain les uns après les autres. Les musiciens encadreront cet espace d’images, baignés dans une lumière aquatique. Nous chercherons l’émerveillement des yeux, baignés dans la musique chatoyante et féerique composée par Régis Campo, sans pour autant édulcorer la violence nécessaire du conte de Andersen. » confie Bérénice Collet.
Le musicien marseillais, a également écrit le livret de cette œuvre qui fut créée le 9 mars 2024 au conservatoire de Nice. La direction musicale de l’Orchestre national Avignon-Provence sera confiée à Jane Latron. La Petite sirène sera interprétée par Apolline Raï-Westphal. Sa sœur ainsi que la servante par Elsa Roux-Chamoux ; la sorcière et la grand-mère par Marion Pascal Vergez et Sébastien Monti sera le prince.
Une coproduction ARSUD, OpéraToulon Provence Méditerranée, Opéra Nice Côte d’Azur, Opéra Grand Avignon, Opéra de Marseille et ARCAL Compagnie Nationale de théâtre lyrique et musical. Avec le soutien de la DRAC Provence-Alpes-Côte-d’Azur et du Fonds de création lyrique. La Fondation Signature a décerné le Prix d’Atelier 2024 à l’Opéra de Nice Côte d’Azur pour la réalisation des costumes de « La Petite sirène ».
« Opéra en Famille » : Un enfant âgé de moins de 16 ans bénéficie d’une place de spectacle ou de concert au tarif exceptionnel de 6€ s’il est accompagné d’un adulte ayant acheté au moins un billet (au tarif plein ou au tarif réduit).
Jean-Pierre Haddad
Opéra Grand Avignon – L’Autre scène, 84270 Vedène, avenue Pierre de Coubertin. Le vendredi 7 février à 20h.
Informations et réservations : https://www.operagrandavignon.fr/la-petite-sirene-campo
& https://www.orchestre-avignon.com/concerts/la-petite-sirene/
Rencontre avec Bérénice Collet : https://www.operagrandavignon.fr/rencontre
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