Nasser Djemaï, auteur, metteur en scène et directeur du Théâtre des Quartiers d’Ivry, a confié le texte de son nouvel opus, Kolizion, à Radouan Leflahi qui nous livre un seul en scène impressionnant.
Sur le plateau plongé dans le noir, Radouan Leflahi commence à raconter l’histoire de Mehdi, septième garçon d’une famille très modeste : un père qui travaille dans les mines et un mère au foyer qui a fort à faire à s’occuper de sa maison et de ses sept garçons. Puis la lumière se fait et on découvre le décor d’Emmanuel Clolus qui nous plonge dans un monde à la fois réaliste et onirique : un sol brut recouvert de copeaux d’écorce, une théière, une cocotte-minute, des fagots de bois mort, un fauteuil en rotin, un cadre de porte, de nombreux livres éparpillés, un espace circulaire translucide où des images éphémères en noir et blanc sont projetées comme dans les rêves… Où est-on ? On ne le saura pas ce qui donne à cette histoire la dimension universelle du conte.
Tout commence d’ailleurs comme un conte : le soir de sa naissance, nuit de pleine lune, la mère de famille, Hayat (« Vie » en arabe), fait un rêve : deux étoiles filantes lancées en plein ciel entrent l’une dans l’autre. Une explosion qui donne naissance à la forme du visage de celui qui s’appellera Mehdi qui en arabe veut dire « le guide éclairé par Dieu ». Mais c’est un conte tendre et cruel, comme le sont souvent les contes, que Radoun Leflahi qui joue Mehdi va nous raconter. Sa vie est mouvementée et il frôle la mort à plusieurs reprises. Contrairement à ses frères qui arrêtent tôt leurs études, il est un élève brillant. Il obtient le bac, fait une classe prépa, trouve du travail dans une grande entreprise où il se rend indispensable. Toute la famille l’admire et il achète à ses parents une belle maison. Mais pour arriver là, il faut qu’il s’oublie, qu’il se plie aux aux modèles de réussite de la société, qu’il travaille sans relâche au risque de devenir fou, qu’il adopte les règles du capitalisme, de la productivité sans s’arrêter une seule seconde, sans se demander quel sens donner à sa vie au risque de se perdre.
Radouan Leflahi joue Medhi avec une sensibilité, une force et une violence incomparables. Il nous touche en enfant aventureux, plein de vie et d’amour pour sa famille, en amoureux éperdu. Il nous fascine et nous effraie en adolescent qui côtoie la folie et a des hallucinations. Il nous fait aussi rire quand il raconte ses hallucinations et son face à face avec George Clooney. Il nous fait naviguer dans le temps et dans la scénographie qui multiplie les ambiances avec les lumières de Vyara Stefanova et les sons de Frédéric Minière : la maison de Mehdi et ses alentours, le salon de coiffure où tout le monde se retrouve, la fête foraine, la grande ville, la boîte disco….
Un beau conte philosophique qui gagnerait en force s’il était un peu plus court. Mais l’interprétation de Redouan Leflahi est vraiment bluffante et nous tient en haleine tout le long du spectacle.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 20 décembre à 20h, – TQI, Manufacture des Oeillets, 1 place Pierre Gosnat, Ivry-sur-Seine (94) – Réservations : 01 43 90 11 11 ou theatre-quartiers-ivry.com – Tournée 2025 : MC2 : Grenoble, Scène nationale du 4 au 7 février 2025 – Les Passerelles, scène de Paris-Vallée de la Marne Pontault Combault le 7 mars 2025 – Théâtre Joliette à Marseille, Scène conventionnée du 20 au 22 mars 2025 – Scène de Bayssan, Scène en Hérault du 25 au 30 mars 2025 – Théâtre Sartrouville et des Yvelines, CDN du 3 au 4 avril 2025 – Théâtre de Nîmes, Scène conventionnée du 9 au 11 avril 2025
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