A l’abattoir la chaîne défile comme d’habitude, sauf que ce jour là, au milieu des carcasses, il y a une employée pendue par les pieds qui passe sur la chaîne de découpe. Après l’effroi, la colère s’empare des travailleurs. Ils arrivent à surmonter leur peur et décident la grève, contre les conditions de travail, les cadences, des salaires trop bas. La directrice se perd dans des circonvolutions absconses et dit qu’elle a déjà beaucoup fait pour eux. Le patron à l’autre bout du monde reste sourd aux revendications auxquelles il répond par « licenciez les meneurs ». Sauf que les meneurs ne sont pas identifiables, les grévistes utilisant la ventriloquie qui en fait un corps unique, une force collective. Le patron lointain agitera alors productivité et exigence de rentabilité pour proférer une autre menace.

Faustine Noguès a voulu montrer un monde caché, que nous n’avons pas toujours envie de voir, celui des abattoirs. Elle a effectué un énorme travail de documentation et de rencontres pour écrire ce spectacle. C’est un monde qui vit au rythme du travail à la chaîne, sauf que ce ne sont pas des voitures qui circulent, mais des animaux que l’on a d’abord abattus. Ceux qui y travaillent se posent forcément des questions qui dépassent celle des cadences et des conditions de travail, d’autant plus que certains employés ont d’abord été éleveurs.

Dans sa mise en scène Faustine Noguès utilise en complément du théâtre d’autres modes expressifs, la ventriloquie ou le cirque qui introduisent le rire dans ce monde où rode la mort. Elle réussit à tenir un équilibre entre les aspects documentaires sur le travail dans ces abattoirs industriels, les aspects sociologiques et politiques des rapports hiérarchiques et quelque chose qui relève de la mythologie et du fantastique. Les employés sont en blouse, casque sur la tête. Ils extraient parfois des murs des mètres de ce qui ressemble à des boyaux. La directrice, elle, apparaît siégeant dans une carcasse sanguinolente évidée. Le patron est réduit à une voix lointaine s’exprimant en globish. Le fantôme de la morte (Estelle Borel qui est aussi circassienne) quitte son crochet de femme-vache pour circuler au-dessus de la chaîne. Le son contribue à cette atmosphère étrange et inquiétante. Dans le noir,attendant que la pièce démarre, on entend le bruit de la chaîne qui s’interrompt quand la grève commence, remplacé par les mugissements au loin des vaches vivantes s’entassant aux portes de l’abattoir.

Un spectacle fort où comme devant le bœuf écorché de Soutine, on hésite entre fascination et répulsion, sauf que là il y a aussi des hommes et c’est passionnant.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 16 décembre au Théâtre de la Cité Internationale, 17 bd Jourdan, 75014 Paris – du lundi au mercredi à 20h, jeudi et vendredi à 19h, samedi à 18h – Réservations : 01 85 53 53 85 ou theatredelacité.com – Tournée : 19 et 20 décembre au Théâtre Dijon Bourgogne, le 28 mars 2025 au Théâtre André Malraux de Chevilly-Larue, 3 et 4 avril Espace Marcel Carné de Saint-Michel-sur-Orge, 10 avril Théâtre Jacques Carat de Cachan, 15 et 16 avril à Château Rouge Annemasse


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